Mutualiste, redistributif, solidaire : est-ce un modèle économique viable ?

Contexte 

Le principe de l’entreprise partagée Smart est basé sur une valeur forte : l’autonomie solidaire des personnes par le système de mutualisation des services. Ce modèle est unique car il s’adresse à tout le monde sans considération de l’intensité du travail et des revenus. 

Ce modèle mutualiste suppose d’atteindre une taille critique afin de supporter les risques. La question de l’indépendance financière de Smart est donc cruciale : son indépendance, c’est notre autonomie, c’est l’accessibilité effective de toutes et tous aux services de Smart. 

Actuellement, le modèle financier de Smart est basé sur un prélèvement en pourcentage sur les montants facturés par les sociétaires porteurs de projets. 

Dans un dispositif mutualiste, Smart tente de mettre en œuvre trois principes de l’échange économique. 

  • Le principe marchand. Smart fait du commerce pour le compte des membres : de biens, d’œuvres, de services sur des marchés concurrentiels. 
  • Le principe redistributif. Non seulement Smart participe à un système redistributif, celui basé sur les taxes, impôts et cotisations sociales mis en place et régulé par l’État, c’est l’une de ses finalités. En outre, Smart joue elle-même le rôle de centralisateur redistributif via l’ensemble des recettes provenant de la mutualisation qui sont redistribuées également au bénéfice de toutes et tous dans la prise en charge d’un outil de production commun et de la socialisation du risque individuel. 
  • Le principe de réciprocité. Par l’ampleur des publics, la diversité de ceux-ci et les mécanismes propres à son dispositif technique, Smart a contribué à l’émergence d’une communauté qui dispose de moyens suffisants pour développer, dans un écosystème, des échanges pas forcements commerciaux, dans un espace horizontal où la symétrie des actrices et acteurs favorise la réciprocité non marchande. 

C’est bien le volume d’activités que Smart traite qui donne le socle solide sur lequel construire de nouveaux modes de redistribution et de réciprocité entièrement centrés sur la figure de la travailleuse et du travailleur et à son bénéfice. 

Le modèle économique de Smart 

Les sociétaires porteurs de projets facturent via l’interface Smart à leurs clients. Cette facture est redistribuée en salaire, frais professionnels, investissements éventuels et produits acquis ainsi qu’un pourcentage fixe affecté à la structure Smart, aux services mutualisés. Ce revenu issu du pourcentage fixe est complété par d’autres revenus comme une minorité de subventions ou des revenus issus de location de tiers-lieux. 

En cas de résultat positif de la structure, ce résultat est affecté aux investissements dans la structure. 

 

Le produit de Smart en France a triplé en trois ans et continue de croître. En 2019, le Conseil d’administration a pris la décision de redistribuer aux sociétaires la baisse d’impôt, conséquence de la réforme du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi). Malgré l’amélioration des résultats au fil des années, le modèle n’est pas encore à l’équilibre et la coopérative est encore dépendante de sa sœur belge pour continuer à se stabiliser et se développer. La crise sanitaire impactant l’activité économique (notamment sur nos secteurs historiques) est cumulée à un conflit avec Pôle emploi qui nous oblige à suspendre la production du spectacle vivant et entraine la reconfiguration sur l’activité du secteur audiovisuel. Cette double conjoncture croisée avec les déficits accumulés oblige à repenser rapidement le modèle économique. Une stratégie est mise en place pour permettre d’atteindre le point d’équilibre, sans brider le développement, afin de stabiliser le modèle économique dans la durée.  

 

État de la réflexion au sein du groupe Smart 

Aucune des ambitions de Smart ne serait réaliste si la coopérative, en tant qu’entreprise partagée, ne s’appuyait sur un modèle économique fort, stable et cohérent. Les capacités économiques de Smart ne cessent d’évoluer. Elles devraient connaître de substantiels changements à l’heure de la crise coronavirale. Il est fondamental, dans une entreprise partagée comme la nôtre, que les principes structurant le modèle économique de la coopérative comme leurs modalités d’application constituent un objet de discussion démocratique. Cette mise en débat, d’autant plus importante que la nécessité d’évoluer est permanente, doit pouvoir se fonder sur des éléments clairs, présentés didactiquement, qui sont aptes à faciliter l’émergence d’une véritable culture économique commune. 

Avec le cycle Smart in Progress entamé en 2015 en Belgique, les sociétaires ont marqué leur attachement au principe de redistribution et de solidarité en réaffirmant l’importance du financement du modèle économique de Smart via un pourcentage unique égal pour toutes et tous quel que soit le profil économique. 

Il a cependant été nommé que 80% du chiffre d’affaires de la coopérative est généré par 20% des sociétaires. Dans ce contexte, si Smart a démontré sa capacité à faciliter l’émergence d’activités économiques, il faut également penser à trouver des solutions pour répondre aux exigences des activités économiques les plus évoluées, pour leur permettre de rester et ainsi consolider le modèle économique du projet. 

Les travaux des Smart in Progress sur les questions économiques ont également lancé un travail important sur la transparence et l’accessibilité des données financières de la structure Smart et des activités qu’elle abrite ainsi que la constitution en son sein de filières économiques, base d’une synergie interne entre sociétaires. 

La situation en France impose aujourd’hui d’accélérer l’autonomie de Smart France en modifiant des éléments du modèle économique à court terme pour augmenter (intelligemment) le volume global d’activité, améliorer la productivité, maîtriser les charges et augmenter les produits.  

 

Objectifs de réflexion du groupe de travail 

Même si la situation impose aujourd’hui de modifier notamment la contribution coopérative dans le modèle économique à court terme, le groupe de travail pourra prolonger les réflexions sur les principes structurant ce modèle à moyen et long termes. Le principal enjeu de la démocratie économique dans Smart revient à ne jamais disjoindre, dans les débats, les échanges sur les contributions coopératives mutualisées et ceux sur l’usage qui en est fait (quant à la nature des services rendus et à leur coût). 

Il sera aussi intéressant de regarder l’agrégation de modèles économiques portés par les activités au sein de la coopérative. En effet, en favorisant le chiffre d’affaires des activités, elles construisent de l’emploi stable et pérenne et servent dans le même temps l’intérêt collectif pour le fonctionnement commun. 

 

Questions-clefs 

Les questions clefs devront être définies par le groupe de travail, en fonction du développement et des avancements des réflexions. Néanmoins à titre d’inspiration, voici quelques suggestions :   

  • Quels sont les services attendus par les coopérateur·rices? Doivent-ils être renforcés pour un même niveau de contribution ou diminués pour un niveau de contribution moindre ? 
  • Smart est ancrée dans l’économie sociale et solidaire et a pour principe d’ouvrir ses services à tous les profils quel que soit le revenu généré. À l’opposé, Smart pourrait devenir un supermarché de services, tarifiés à la carte et ne viser que des porteurs de projets solvables et rentables. Qu’en pensez-vous ? Où placer le curseur entre ouverture et solidarité d’un côté et rentabilité de l’autre ?
  • Comment et auprès de qui trouver les capitaux, nécessaires pour soutenir l’ampleur prise par les activités de toute nature passant par Smart, tout en gardant notre indépendance ?
  • Faut-il défendre absolument ce modèle, qui réencastre l’économie dans les relations sociales, en nouant l’échange marchand aux échanges redistributifs et réciproques ?
  • Comment renforcer la dimension économique de l’accompagnement et créer un environnement qui favorise le développement économique de chacune des activités ?
  • Quelle place peut prendre la solidarité et la mutualisation de compétences pour créer un rapport de force sur le marché en développant les coopérations économiques entre membres, en plaçant des prix qui permettent la soutenabilité ou en maintenant des activités de toutes tailles ?

 

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