Pierre Vreven
Fondateur de l’asbl Court-Circuit.
Membre historique du conseil d’administration de Smart sous statut d’asbl, depuis 2004, puis de la fondation, ensuite de la coopérative jusqu’en juin 2023.
Membre utilisateur des outils partagés depuis 2021.
Il reste toujours très proche de l’entreprise.
Lire le récit de Pierre Vreven en pdf
Quel a été ton premier contact avec Smart? De ce que tu t’es dit la première fois qu’on t’en a parlé ou que tu as rencontré quelqu’un de l’équipe? Te souviens-tu de la date?
Je travaillais dans le milieu culturel. J’avais créé une association qui s’appelle Court-Circuit, pour valoriser le secteur du rock en fédération Wallonie-Bruxelles et donner des outils à ses acteurs. Je faisais essentiellement du conseil pour qu’ils puissent se faire connaître et être programmés autant en Belgique qu’à l’étranger. J’allais sur les foires à l’étranger et j’essayais de catalyser le secteur en travaillant avec tous ceux qui tournent autour: les agents, les managers, les producteurs de spectacles. J’étais aussi programmateur musical aux Halles de Schaerbeek. C’est comme ça que j’ai rencontré Pierre Burnotte, qui travaillait pour Athanor1, une agence située en face des Halles de Schaerbeek. Il était aussi comptable pour quelques autres associations. Les deux responsables d’Athanor étaient Michel Durieux et Anne Closset, qui étaient des amis. C’est comme ça que j’ai rencontré Pierre. À ce moment-là, il était aussi producteur sur une péniche à Liège où il organisait des évènements culturels.
Pierre a eu un parcours un peu frustrant, comme beaucoup de producteurs dans les années 1990, où les institutions publiques méconnaissaient totalement les particularités de ce secteur. Les syndicats, l’ONSS découvraient ce monde parallèle des artistes qui déambulaient dans des espaces où circulait de l’argent et jouaient d’une manière pas toujours orthodoxe. Tout ça était très nébuleux. Comme ces artistes représentaient une minorité, ça ne les bousculait pas trop, mais quand même ils se posaient des questions et ils ont commencé à inspecter le secteur. Pierre est tombé sur des inspecteurs qui sont venus lui réclamer le précompte professionnel et s’est retrouvé à devoir payer d’un coup 18 % de précompte professionnel pour tous les artistes qu’il faisait travailler sans les déclarer parce qu’ils venaient pour l’essentiel de l’étranger et notamment de France. Il a donc été contraint de se débarrasser de cette péniche et de tout mettre en faillite… Et là, il s’est dit: «Il faut que j’invente autre chose.» Avec Julek Jurowicz et Amir Dibadj2, ils se sont dit qu’il fallait trouver une solution pour ces artistes. Trouver un système pour qu’ils puissent vivre de leur art. Quand Pierre est venu vers moi avec ce projet, c’était encore des bribes. Mais son idée, c’était évidemment de rencontrer tous les acteurs fédérateurs. À l’époque, je l’ai mis en contact avec Les Lundis d’Hortense3, et Voix-Voies. Bref, toute une série de fédérateurs en Wallonie-Bruxelles qui comme moi avec Court-Circuit essayaient de valoriser les secteurs culturels et de trouver des solutions pour que les artistes puissent vivre de leur talent. C’est dans ce contexte-là que Pierre est venu vers moi en me disant: «Est-ce que ça t’intéresse de mettre en place ce projet avec nous? On va créer une asbl et on va développer le tiers payant.» C’est la faille qu’ils avaient trouvée avec Julek pour transformer un cachet en salaire. Je trouvais ça génial et j’ai rejoint l’aventure. Il y a d’abord eu Passions Unies et Ubik: tout ne s’est pas créé du jour au lendemain. Et puis Smart est apparue au milieu de tout ça. J’ai surtout le souvenir de m’être dit: «Wow! Il a trouvé une faille, celui-là.» Je ne suis pas rentré personnellement en tant que fondateur, mais indirectement via Court-Circuit, mon association, qui a été représentée par Christel Mignolet qui travaille toujours chez Smart et qui est aujourd’hui responsable du bureau de Louvain-la-Neuve4. Moi, j’étais à ce moment-là embauché aux Halles de Schaerbeek, je ne pouvais donc pas représenter officiellement Court-Circuit. Mais j’étais omniprésent. Tout a commencé, dans les bureaux d’Athanor. Et puis ils ont déménagé à Molenbeek, près de Tour&Taxis, où ils ont eu des bureaux pour développer le projet. Petit à petit.
Et ensuite? Est-ce que tu peux retracer les grandes périodes de l’histoire de Smart et nous dire où tu étais toi à ces différents moments?
Moi, j’ai toujours été omniprésent de ce début-là jusqu’à aujourd’hui, mais j’ai été davantage acteur à partir de 2004. Parce qu’en fin de compte, Pierre et Julek étaient un peu bohèmes, en tout cas par rapport à l’asbl: ça vivotait, c’était bien, mais ils ne cherchaient pas vraiment à avoir un conseil d’administration. Ils ne voulaient pas s’alourdir d’un environnement plus institutionnel. C’était leur projet à eux et ils en étaient administrateurs délégués. Ils se dépatouillaient seuls et n’avaient pas besoin de gros soutien. Mais ils s’entouraient de gens qui pouvaient favoriser la dynamique du projet, ce qui n’est pas toujours évident à trouver. Et puis, il y a eu les débats politiques sur le statut de l’artiste, qui était précaire. La seule chose qui était possible, c’était le statut d’indépendant, qui n’est pas du tout adapté. Il y a eu plein de discussions, et Pierre m’a demandé de rentrer cette fois en tant que personne morale, comme représentant de Court-Circuit, ce qui était désormais possible car j’avais quitté les Halles de Schaerbeek. Je suis donc entré, en même temps que Manuel Hermia, qui lui représentait les Lundis d’Hortense. Au début, je n’allais pas souvent aux conseils d’administration. De temps en temps quand il y avait organisation d’évènements de Smart. À un moment, ils ont vu qu’il y avait 200 nouveaux membres par mois et que tout était axé sur les artistes. Là, il y a eu des moments plus difficiles, avec la nécessité de mettre en place un collectif, autour d’une grosse personnalité, celle de Julek. Pierre était plus rationnel mais Julek, c’était le leader. On n’écoutait que lui, comme plus tard, on a écouté Sandrino. Ce n’est plus le cas aujourd’hui avec Maxime et Anne-Laure et c’est beaucoup plus intéressant. Mais eux, Julek, comme Sandrino, c’étaient des personnalités qui prenaient leur place et qui s’imposaient dans leur environnement. On n’avait pas grand-chose à dire: on avalisait souvent gentiment, sauf quand on sentait qu’il y avait une anomalie. Mais quand il est arrivé que dans le conseil d’administration, certains se mettent contre Julek et Pierre, ça s’est vraiment très, très mal passé.
Tu te souviens sur quel sujet c’était?
C’était juste avant qu’un superviseur comptable nous dise que l’organisation n’était effectivement pas très claire au niveau de la comptabilité et qu’il fallait diviser la structure existante en plusieurs entités: une société pour l’immobilier, une autre pour le leasing, une autre pour l’intérim. Ubik, le service informatique était déjà indépendant. Nous, on ne comprenait plus rien à qui faisait quoi! C’était le bazar autant à l’extérieur qu’à l’intérieur.
À un moment donné, on leur a proposé de segmenter tout ça et de mettre une fondation au-dessus, ce qui a été une mauvaise idée. Cette fondation dont je faisais partie dès le départ, était l’organe qui supervisait, qui essayait de comprendre ce qui se passait en dessous et qui recevait tout l’argent, qui était ensuite redistribué dans les différentes structures. Il y a eu à un moment donné un conflit d’incompréhension. Au sein du conseil d’administration, on était divisés et ça a vraiment été très violent, même physiquement. Ça hurlait. De ma longue expérience dans l’associatif – j’en ai vécu des conseils d’administration! — je n’en ai jamais vécu des comme ça. C’était avant la segmentation et il y avait une incompréhension de ce que seraient ces modes de gestion. La communication avait été insuffisante. Moi, je soutenais Pierre et Julek. On sentait que les autres allaient beaucoup trop loin. On s’est donc opposés et on a gagné parce qu’on était plus nombreux à s’opposer. Mais ça a été vraiment très dur. Et les frondeurs ont démissionné. Je retiens ce moment, parce que c’était assez unique. Le conflit arrive partout. Mais là c’était vraiment excessif.
Pour toi, il y a eu un tournant à ce moment-là?
Oui, il y a eu un tournant. Même si le gourou était toujours là et vivait toujours bien les choses. Il faisait ce qu’il voulait et je l’aimais bien ce gourou. On l’acceptait tel quel parce que lui et Pierre avaient eu une idée géniale et ont développé pendant quinze ans un projet qui était quand même incroyable. C’est dommage que Pierre ait dû suivre sa femme en Afrique. C’est un choix de vie super, que je n’ai évidemment pas le droit de critiquer, mais ça a complètement déstabilisé le projet. C’est-à-dire que d’un coup, le gourou a pris plus de place que jamais.
Il y a eu deux moments comme ça, un peu compliqués. L’autre, ça a été quand Pierre est revenu, appelé par d’anciens salariés qui lui ont dit que quelque chose n’allait pas. Il n’y avait plus véritablement de gestion. Pierre est arrivé avec un œil extérieur, il a fait comprendre à Julek qu’il y avait un vrai problème et il a fait appel à Sandrino. J’ai toujours soutenu Pierre parce que Pierre était ma référence et mon sage personnel. Et quand Pierre m’en a parlé, je lui ai dit: «Je te suis» et quelque part on a mis Julek dehors. Celui-ci est resté omniprésent et ça a été un drame pour Sandrino mais il n’était plus l’acteur principal. Je dis tout ça et pourtant j’avais plein d’affinités avec Julek. On avait à redire de sa gestion, pas de sa personne. Mais évidemment, il nous en a voulu et je me suis retrouvé par hasard à être le dernier à voter et à signer le basculement. L’horreur! J’ai donc dû dire à Julek: «Bye bye» devant un Sandrino tout sourire. Ça n’a pas été facile. Et là, on a eu un nouveau gourou. Je les appelle comme ça très gentiment.
Qu’est-ce qui a changé avec l’arrivée de Sandrino?
Sandrino, je le connaissais déjà depuis 2006. Comme j’étais dans le milieu culturel et musical, j’allais aux BIS à Nantes, ce moment de rencontre entre professionnels du secteur. Je connaissais tous les acteurs du milieu puisque je travaillais avec trois artistes connus en France. À travers eux, je connaissais toutes les agences. J’ai donc favorisé la reconnaissance de Smart auprès de ces agences. L’une d’elles était d’ailleurs actrice de Smart. C’est comme ça que j’ai rencontré Sandrino. Quand il est arrivé, on se croisait de temps en temps aux AG. Toute cette dimension de coopérative que portait Sandrino m’intéressait et j’y étais vraiment favorable. J’en comprenais tout le sens. Sandrino a aussi fait venir Nicolas Wallet5 qui était un atout pour lui et pour Smart. Ensemble, ils avaient l’esprit nécessaire pour prendre cette relève. En tout cas, je ne voyais personne d’autre pour le faire. Je peux dire que la période Sandrino a été un soulagement. On s’est sentis plus concernés au sein du conseil d’administration à partir de ce moment-là. On est devenus plus acteurs qu’avant et le peu de fois qu’on a agi, ça a été bien!
Tu te souviens des fois où vous avez agi?
Je parle de ces moments-là de rupture. C’est des moments importants dans une association. Mais c’est très compliqué d’être administrateur parce qu’on n’a pas tout en main. On nous rapporte des choses et on n’est même pas sûrs que c’est la vérité. Heureusement que je connaissais pas mal d’acteurs de Smart employés depuis le début et qui sont toujours là.
Des membres de l’équipe?
Des membres de l’équipe, des conseillers que je connais depuis le début. Barbara Klepman qui est une des plus anciennes, des gens du secteur musical comme Bernard Moisse6, qui étaient mes référents en interne et qui avaient des positions complètement opposées bien souvent. Mais ça permettait quand même de sentir un peu les choses.
De compléter l’information qu’on te donnait en CA?
De compléter l’information que donnaient ces fortes personnalités qui arrivaient si bien à vendre leur vision des choses.
Est-ce que tu te souviens des moments ou des sujets sur lesquels ce CA, qui, si je comprends bien, s’est structuré petit à petit, a agi en opposition avec la direction de l’époque?
C’était souvent des questions liées à des personnes: est-ce qu’on garde untel ou unetelle chez Smart ou pas? Je comprends que Pierre et Julek aient été un peu dépassés devant cette société qui a grimpé à une vitesse incroyable, avec de plus en plus d’employés. C’est rare, une structure qui grandit comme ça, en à peine cinq ou six ans. Au début, ils étaient trois et ils étaient mal payés. Et puis ils se sont retrouvés très vite à 20, 30, 40, 50, 60. C’était exponentiel. Il fallait répondre, il fallait du monde et en même temps, il fallait y aller mollo parce que pour accueillir ce monde, il fallait acheter des bâtiments, les rénover. À la base, Pierre et Julek n’étaient pas des entrepreneurs. C’étaient des gestionnaires d’entrepreneuriat. Mais ils étaient visionnaires. Julek du moins est un visionnaire. C’est quelqu’un de socialement très fort, qui voulait aider des artistes et en particulier des plasticiens, et être en lien avec eux. À ses côtés, il y avait Pierre, qui est plus sage et dont le projet était de favoriser l’emploi dans ce secteur-là. Et puis il y a eu l’ouverture aux non-artistes, qu’on a acceptée parce que ça semblait logique. Même si ça n’a pas été sans conflits au sein du Conseil d’administration où on était tous des représentants d’artistes. Tout à coup, on nous parlait des non-artistes et on pouvait tout à fait se dire: «Eh bien quoi, ils vont prendre notre place?».
À quel moment situes-tu cette ouverture aux non-artistes?
Je pense que c’était en 2009-2010-2011. Un peu avant que Sandrino n’arrive en 2014. Moi j’ai compris tout de suite que c’était hyper utile, ce tremplin sous forme de fausse couveuse d’entreprise, qui permet de développer un projet sans prendre de risques. C’est génial parce que se déclarer indépendant et commencer un projet, ce n’est pas évident. Dès qu’on a compris ça, on s’est dit: allons-y, même si les artistes deviennent minoritaires. Cela dit, dans la coopérative, la plupart des acteurs du conseil d’administration sont encore liés avec le monde artistique.
Il y a eu une troisième période Sandrino?
Pour nous, membres du conseil d’administration, Sandrino allait apporter beaucoup de clarté. Pour lui, c’était important d’avoir une complicité avec nous parce qu’il a hérité d’un conseil d’administration qui était là à son arrivée. Il ne savait pas très bien ce qu’on avait vécu ou pas vécu et il nous découvrait même s’il nous connaissait par bribes. Je pense qu’il connaissait un petit peu Pierre D’Haenens et Manu Hermia. Mais pas le reste d’entre nous. Quelque part, il a essayé de nous séduire, ce qui était normal. On n’a pas un rôle extraordinaire, mais on reste quand même les patrons, même si on est des bénévoles. Par le passé, on a prouvé qu’on pouvait faire basculer tout le système si on voulait, surtout dans une asbl où c’était plus facile que dans la coopérative aujourd’hui. On a donc senti qu’il ouvrait toutes les portes et tous les placards, avec l’aide de Nicolas. Et on a senti que ça progressait dans le bon sens.
Et puis il y a la mise en œuvre du passage en coopérative. Tu évoquais ça comme quelque chose d’assez fort.
Ça a été un super moment aussi. Sandrino nous a responsabilisés. Il nous a mis en duo en fonction des intérêts qu’on avait. Et on a participé au développement de la coopérative, qui pour moi était un idéal.
Qu’est-ce que tu as trouvé si chouette dans le fait de passer en coopérative?
Théoriquement, les utilisateurs de Smart, à titre personnel ou moral, sont acteurs du projet mais ils ne s’en rendent pas toujours compte. En tant que sociétaires, ils ont tous droit à un vote. Dans une asbl aussi, mais ce n’est pas du tout la même chose. Il n’y a pas ce côté outil commun. Pour moi, c’est idéologique. C’est beaucoup plus clair. D’ailleurs, j’essaie de développer d’autres coopératives, indépendamment de Smart. Il faut savoir que Pierre Burnotte avait déjà cette idée de coopérative grâce, à l’époque, à Jean-François Hertz qui était à SAW-B. Il avait monté une forme de couveuse d’entreprises pour coopératives et Pierre avait eu l’envie de suivre son exemple. Moi, j’ai été directement confronté à la question. En effet, à un moment donné, je me suis retrouvé sans travail. J’ai commencé à développer une activité de manager agent autour d’un artiste, qui s’appelait Daniel Hélin. Smart, qui avait ses bureaux à Tour&Taxis à l’époque m’a proposé un espace de coworking, ce qui n’existait pas encore vraiment à l’époque ou du moins c’était le tout début. J’avais donc un espace, une table et je pouvais apporter mon ordinateur et utiliser le téléphone. Il y avait d’autres managers agents et puis d’autres personnes qui s’occupaient de location de véhicules pour les artistes. Pierre avait proposé de rassembler toutes ces activités dans une coopérative. Mais il ne s’est pas rendu compte qu’on n’était pas prêts à se dire qu’on allait travailler ensemble. Parce que quelque part, on était concurrents. On sollicitait les mêmes salles, les mêmes festivals, les mêmes labels… On a fait quelques réunions avec Jean-François qui nous a expliqué ce qu’est une coopérative. C’était les prémices et je regrette qu’on ne soit pas allés plus loin.
Les regards sur vos métiers n’étaient pas prêts à changer?
On était et on est tous encore des indépendants. On se retrouve quand il y a un réel problème, quand le Covid arrive et qu’on ne sait plus travailler alors là, tout d’un coup, apparait une fédération d’agences, de managers qui crie: «Il faut qu’on vive!» Mais s’il n’y a pas de crise, on s’aime bien, on boit des coups ensemble mais chacun vit dans son coin.
Ce qui est ridicule.
Comment ça s’est passé, ensuite, quand Sandrino a décidé de s’en aller?
Sandrino nous a conviés chacun indépendamment pour nous annoncer son départ. Il aimait bien faire comme ça, nous voir chacun individuellement. Ce n’était pas pour nous diviser, du moins je ne pense pas. Pour moi, c’était sa manière de créer des liens. Il nous a donc approchés un à un en disant: «Je n’en peux plus, il faut que je change de vie. J’ai une solution, en interne. Un binôme.» Et il nous a fait rencontrer le binôme. On connaissait Maxime. Anne-Laure, on voyait qui elle était parce qu’elle était venue faire des présentations à des AG à l’époque. On les a découverts et on les a apprivoisés. Maintenant, on est avec eux et on les soutient plus que jamais. C’est un binôme qui fonctionne bien, du moins de l’extérieur. En tout cas, personnellement, je suis content et j’espère qu’ils tiendront le coup encore quelques années.
Qu’est-ce qui te plait dans ce binôme de direction?
La transparence, qui est de plus en plus présente ; la vision, de plus en plus claire. Malgré des moments difficiles encore. D’avoir eu à traverser le Covid, je dis: «Les pauvres, franchement chapeau!» Le Covid, la France en crise. Maintenant, ça commence un peu à respirer.
Quand ils prennent la direction, ils prennent la direction d’une entité franco-belge…
Ça semblait tout à fait logique. C’est Sandrino qui l’a amenée aussi loin. Ça faisait partie de sa logique et il avait raison: il venait de là et il avait tout intérêt à les associer. Ça a créé beaucoup de fusions, dans tous les sens du terme. Grâce à ça, beaucoup de gens de France travaillent chez Smart en Belgique aujourd’hui. Et puis, il y a eu cet «accident», cette incompréhension qui a vraiment mis le bazar. Et je trouve qu’ils ont très bien géré ça. Même si ce n’était pas facile, on les a soutenus, comme on pouvait…
Oui, c’était ça que je pointais.
Ils sont devenus dirigeants d’une entité franco-belge et quelques années plus tard, ils sont dirigeants d’une structure belge. Ils ont traversé des choses intenses.
C’est ce qu’on appelle la crise française. En fait, c’était une manière de défendre Smart. On a fait ce choix de séparer l’entité belge de l’entité française pour ne pas risquer de couler avec la France. Séparer les deux entités, c’était faisable. Alors égoïstement, on a dit: «On coupe. Et puis on reconstruit.» Et qui sait? Peut-être qu’on reviendra ensemble, on n’en sait rien. On vient aussi de finir cette fondation dont le sens n’a jamais été très bien compris. Depuis quelque temps, on sent bien qu’elle ne sert plus à rien. Mais on la garde quand même et elle servira, comme elle a servi pendant le Covid, dès qu’il y a une crise ou un problème, pour soutenir des artistes, des structures ou des acteurs de terrain de Smart et les aider à se développer. C’est un outil qui ne coûte pas cher et qui permet ça, au cas où. Le patrimoine artistique lui appartient également. Je n’ai pas fait partie de la coopérative au début. Je n’y suis entré qu’en 2021-2022. En revanche, j’ai fait partie de la fondation depuis le début.
Donc, tu n’es membre de Smart que depuis très récemment?
Je ne suis entré dans la coopérative que quatre ans après sa création. Mais j’ai été omniprésent au conseil d’administration en tant que représentant de la fondation. Mon activité, je l’ai toujours gérée indépendamment parce que j’ai toujours été employé: je n’ai pas eu besoin de l’outil Smart. Aujourd’hui, j’utilise de temps en temps l’outil Smart pour des cours que je donne et quelques activités. Mais je suis administrateur de la coopérative Smart depuis 2021, mais en réalité, j’ai l’impression d’avoir été administrateur depuis le début. J’ai enchainé mon mandat à la fondation avec un engagement au CA de la coopérative. Et probablement, je vais bientôt disparaître parce qu’on a mis en place un système de mandat limité. Mais Maxime nous propose de créer un collège des sages, qui aurait un rôle consultatif. Julek serait dedans et tous les acteurs qui connaissent l’histoire de Smart depuis le début et qu’on va interpeller dans les moments compliqués pour qu’ils donnent leur avis.
C’est assez touchant cette galaxie de gens très impliqués, certains avec beaucoup d’ancienneté et qui sont encore dans l’équipe.
Pour moi, c’est une forme d’amitié par rapport à la structure où j’ai croisé des gens merveilleux, des personnalités vraiment incroyables. Je suis content d’être témoin d’une histoire pareille: ce projet au départ tellement incongru et qui a réussi. Je suis en admiration qu’on résiste toujours, qu’on soit toujours là et qu’on réponde à une demande croissante et qui va probablement l’être encore de plus en plus, j’en suis persuadé. Et qu’il y ait de plus en plus de sens dans tout ça.
C’est intéressant parce que souvent, dans les structures, les gens qui étaient là au début disent, c’était mieux avant.
Chez Smart, pas du tout. Je trouve qu’on est en évolution, qu’on vit avec son temps. Le sens de ce qu’on fait se renforce. Il devient de plus en plus pertinent. Et il s’adapte au contexte, ce qui n’est pas évident. Les trois directions se sont adaptées. Pierre et Julek ont eu l’idée géniale, ont dû se dépatouiller et se sont un peu perdus. Sandrino a mis de l’ordre. Et maintenant Maxime et Anne-Laure développent malgré un contexte complexe. Mais à leurs côtés, il y a toujours eu des conseillers impliqués, Frédéric Gregoir, Roger Burton, toute cette bande, qui ont été omniprésents et qui ont vraiment permis de poser une réflexion philosophique, anthropologique mais aussi sociale et socio-économique sur le projet. Les trois directions ont toujours tenu à avoir ça autour d’eux. Et heureusement.
Oui, ça crée des continuités fortes.
On a le sentiment qu’il y a des gens qui passent et un certain nombre de gens qui restent et qui font que ça se renforce.
Tout à fait.
Moi, j’étais de temps en temps formateur chez Smart. C’est Nadine Liétaer, la femme de Pierre Burnotte qui a développé ça. Je venais témoigner en tant qu’acteur extérieur. Je donnais des petites formations sur l’environnement artistique.
Quelles sont pour toi les bonnes idées, les trucs qui ont fait que Smart a continué à se développer, à répondre à la demande, à s’adapter?
Plein d’outils. Par exemple le leasing. Permettre à des artistes d’acheter du matériel. Opportunité que les banques ne leur offraient pas. C’était une solution géniale. Et puis il y a le projet d’asbl dont j’ai fait partie. Je n’en suis pas le père, mais j’ai participé à la réflexion pour trouver une solution au problème que l’on constatait. Les artistes se retrouvaient à créer des asbl parce que c’était la seule solution pour pouvoir travailler. Mais ils étaient peu nombreux à savoir les gérer. Et ils venaient nous voir en disant qu’ils avaient des amendes parce qu’ils n’avaient pas rentré leur bilan financier. Et ils étaient terrorisés parce qu’il y avait malgré tout une gestion à faire. Elle était minime, mais pas nulle. C’était des asbl avec trois membres, la compagne ou le compagnon et un ami ou les parents. Il fallait trouver une solution. Et ça a été vraiment fantastique de mettre à disposition un outil qui leur permette de développer des activités en ayant un statut plus léger.
Il y a eu d’autres choses qu’on a testées: les locations de véhicule par exemple, qui ont été un désastre. Mais c’était minime. Ou la collection d’œuvres d’art que je trouvais pertinente. Mais c’est d’abord un jouet, la passion personnelle de Julek et de sa femme, et comme ils avaient des moyens, ils ont pu le faire. C’était aussi un moyen d’aider ce secteur-là. Mais pourquoi ce secteur et pas les autres? Il y a eu des questionnements. En même temps, cette collection est là, elle aura peut-être une valeur un jour, plus estimable qu’on ne le pense. On ne sait jamais. Pour l’instant, elle décore les couloirs, elle harmonise les murs. Il y a des choses comme ça qui font partie des tâtonnements d’une structure. Je ne critique pas, même s’il y a eu quand même pas mal d’argent qui a été mis là-dedans.
Plus haut, tu mentionnais que tu venais de ce milieu et que tu accompagnais des artistes dans une dimension internationale, qui est aussi un des axes de développement de l’histoire de Smart, qui a pris divers tours au fil des années.
La circulation de l’artiste, ça a toujours été un gros problème. Et ça l’est toujours. Avec Pierre, on allait de temps en temps voir Nana Mouskouri qui était la responsable de la Culture à la Communauté européenne. C’était compliqué parce que chaque pays a ses lois et ses règles. Pierre était très sensible à ces questions du fait de cette histoire de précompte professionnel de 18 % que j’ai raconté. Il devait payer des artistes français ou italiens ou allemands, en se disant que de toute façon ils avaient leur propre société dans leur pays. Pourquoi, en tant qu’employeur belge, devait-il payer aussi 18 % qui ne seraient pas rendus à ces artistes. Pour lui, il y a quelque chose qui n’allait pas. De mon côté, quand je vendais des spectacles en France, en Suisse, au Canada, en Angleterre ou en Allemagne, chaque fois, il fallait s’adapter pour les cachets. C’était compliqué. C’est Julek qui a eu cette idée de développement de Smart en se disant: c’est ça la solution. On sait que ça prendra du temps, des années, mais si on y arrive, ça serait génial.» On n’y est pas encore.
Ça s’est avéré un peu plus compliqué que prévu?
Oui, mais il faut poursuivre le travail. Il faut aller à la Communauté européenne.
C’est elle qui peut homogénéiser les règles et les imposer. Mais pour l’instant, la circulation d’artistes ne représente pas grand-chose sur le marché économique. C’est une niche comparativement au reste et ça ne les intéresse pas. Il faudrait vraiment tomber sur une autre Nana Mouskouri.
J’allais revenir sur Nana Mouskouri. Est-ce qu’il a vraiment eu lieu ce rendez-vous avec toi, Pierre Burnotte et Nana Mouskouri?
On ne l’a pas côtoyée en direct comme ça, non. En fin de compte, on est allés à des forums à la Communauté européenne où des représentants comme Nana Mouskouri viennent exposer leur politique culturelle. Nous, on essayait d’approcher les proches de Nana Mouskouri pour leur dire qu’il fallait changer les choses, trouver des solutions pour faciliter la circulation des artistes…
Est-ce que tu penses à des anecdotes, des choses assez anodines, mais qui pour toi représentent vraiment un truc unique de Smart?
Smart, c’est un foisonnement permanent. Mais une chose peut-être, quand tu arrivais chez Smart, il y avait le chien de Julek7. Ça faisait partie du mobilier, ce truc mouvant à poils, qui se trimballait un peu partout. Sinon, je me rappelle plutôt des accidents au sein des conseils d’administration et les mises au vert, qui ont toujours été chouettes.
Qu’est-ce que c’est une mise au vert?
C’est des moments où le conseil d’administration et des gens de la direction de Smart se retrouvent et se lancent dans des prospectives pour imaginer le futur de Smart. Ou trouver des outils pour favoriser le lien, la communication. Il y avait plein de sujets. J’ai quelques photos assez drôles d’une mise au vert extraordinaire qu’on avait faite près de Namur, dans la maison de Félicien Rops pleine de charme. Ce sont toujours de chouettes moments parce qu’il y a les afters! Les afters, on ne les raconte pas forcément, parce que c’est souvent lié à des excès, mais des excès chouettes. Mais je n’ai pas trop envie de raconter des excès chouettes. Ils sont chouettes, c’est tout.
Est-ce que pour toi, il y a une forme d’état d’esprit de Smart? Et si oui, est-ce que tu arriverais à le définir? Qu’est-ce qui fait la force de Smart et de son développement?
Je trouve qu’il y a une bienveillance et une volonté de répondre à la demande sociétale de toutes ces personnes qui sont décalées et qui veulent développer des projets. Également, le fait de mettre en avant les conseillers. Sandrino a bien remis en valeur leur rôle mais ce n’est pas encore suffisant. Encore aujourd’hui, j’entends les utilisateurs dire qu’ils n’arrivent pas à les joindre, ces conseillers. La dimension humaine est vraiment un enjeu. La numérisation va diminuer malgré tout, parce qu’elle est trop énergivore et qu’elle va finir par nous coûter trop cher ou on n’aura plus de quoi l’entretenir. Donc, je pense que l’humain va reprendre de nouveau une place plus importante. Mais ça a toujours été en progression alors je ne m’inquiète pas.
(cliquez sur le numéro de la note pour retourner à cet endroit du texte)
1. Asbl Athanor: réalisation de spectacles par des ensembles artistiques.
2. Amir Dibadj, collaborateur de Julek Jurowicz et Pierre Burnotte dès la naissance de l’asbl pour la constitution des aspects financiers et comptables de Smart. Pilier des débuts, et soutien permanent.
3. Association de musiciens œuvrant pour la diffusion et la promotion dans le secteur culturel du jazz belge.
4. Interview réalisée en 2023, Christel a depuis rejoint les équipes de Bruxelles
5. Agent d’artistes depuis 2001 et créateur de deux agences de booking, entré chez Smart il y a 20 ans, Bernard Moisse est un des fondateurs de l’équipe dédiée au contact avec la clientèle des membres. Il fut co-directeur de Productions Associées en binôme avec Annelies Cassiers, de 2010 à 2014.
6. Nicolas Wallet, directeur Administration et Finances 2015-2019.
7. Sam, un golden retriever, et homonyme de l’outil central de gestion des contrats.