Sophie Delrivière

Dans l’équipe depuis 2006.
Conseillère, membre de toutes les évolutions de l’équipe opérationnelle, coordinatrice de l’équipe accompagnement de 2008 à 2012.
Créatrice et responsable des formations internes de 2012 à 2014.
Élue par l’équipe au conseil d’entreprise de 2014 à 2023.
Gestionnaire de paie dans la direction des ressources humaines depuis 2024.

 

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Aujourd’hui, c’est un jour particulier parce que, paraît-il,
c’est ton dernier jour chez Smart. Qu’est-ce que ça te fait de vivre ce dernier jour dans un endroit où tu as passé 17 ans?

Techniquement, le vrai dernier jour c’est demain1, mais je pense qu’on ne me demandera pas grand-chose demain à part de ranger mes affaires. Mais mon deuil est déjà fait. Comme je suis là depuis longtemps, j’avais un préavis hyper long, donc j’ai donné ma démission fin août . J’ai pu me faire à l’idée, mais j’ai pleuré, j’ai eu des cauchemars, j’ai hésité. Est-ce que c’est le bon choix? Je ne suis pas encore à 100% sûre que c’est le bon choix, mais ce qui m’a un peu rassurée, et c’est pour ça que j’adore Smart, car il n’y a que Smart pour faire ça, c’est que tout le monde m’a dit, même mon directeur Maxime Dechesne: «Si jamais tu le souhaites, tu peux toujours revenir.» C’est quand même sympa parce que je sais que la porte reste ouverte. C’est gai d’avoir ce filet de sécurité.

C’est plutôt rassurant par rapport à un travail que l’on quitte. C’est assez rare, en tout cas.


J’aimerais bien que l’on revienne au début:
as-tu des souvenirs de ton premier jour chez Smart ou en tout cas, de la première fois que tu as entendu parler de Smart? Qu’est-ce que tu t’es dit? Où était-ce?

Avant d’entrer chez Smart, j’ai eu un boulot administratif. J’étais cheffe d’équipe dans un service clientèle et j’avais complètement envie de me réorienter. J’ai suivi une formation professionnelle de maquilleuse de théâtre et cinéma. Et c’est pendant un cours que quelqu’un est venu expliquer ce qu’était Smart. Je ne me souviens plus du tout qui c’était, je ne sais même pas si c’était un Smarties ou un membre qui venait juste présenter les outils. Je n’avais rien compris. Il parlait du statut d’artiste, mais tout ça, c’était obscur. Mais du coup, je connaissais Smart de nom. Pour moi, ça a été un signe. Dans le maquillage et le cinéma, je n’ai pas réussi à me vendre. Je comprends donc très bien les artistes qui ont du mal à vendre leurs compétences. En tout cas, dans le secteur culturel, ce n’est pas évident. Et à un moment donné, je me suis dit: je me réoriente. Le travail administratif me plaisait bien. Mais si je retournais vers ce type de boulot, je voulais choisir ma boîte. Ne plus jamais travailler pour une entreprise commerciale. Je voulais aller dans une structure en accord avec ma philosophie et mes valeurs. J’ai cherché sur AlterJob et j’ai vu une offre pour un poste de conseillère chez Smart. J’ai eu le flash tout de suite. Je me suis dit que ça serait super parce que je combinerais le travail administratif que j’aime bien, tout en restant dans le secteur culturel, en contact avec les artistes. C’était une manière de garder un pied dans ce monde dont j’avais dû faire mon deuil, du fait de cette carrière qui n’avait pas abouti. Je trouvais que c’était un super compromis. Et j’ai fait un très bon choix. 17 ans plus tard, j’y suis toujours.

J’ai commencé en octobre 2006 comme conseillère. Je ne pouvais plus prétendre à un poste à responsabilité, alors je me disais: tant pis, je recommence en bas de l’échelle et je verrai bien comment ça évolue. Et effectivement, j’ai évolué assez rapidement. Au bout de deux ans, je suis devenue coordinatrice de l’équipe conseillers à Bruxelles.

Le travail rentrait tout à fait dans les compétences que j’avais développées dans l’autre entreprise appelée Team Leader. Je faisais un peu la même chose, sauf que dans cette boîte, tout tournait autour de la production et je détestais ça. Toute la journée, c’était: «Combien d’appels tu as pris?» Je n’aimais pas que tout soit axé sur la quantité. J’ai donc accepté le poste chez Smart parce qu’il n’était pas du tout orienté productivité. Il n’y avait pas d’évaluation. Tout était basé sur la confiance, les discussions ouvertes. S’il y avait un problème, on le réglait ensemble. Ça me correspondait beaucoup plus. J’ai accepté ce poste parce que je me disais que je n’aurais pas cette contrainte de devoir contrôler les travailleurs du matin au soir, ce qui n’était pas du tout une partie de plaisir.

 


Tu dis que tu avais l’impression
que Smart était une entreprise qui correspondait plus à tes valeurs. Que représente Smart pour toi?

Ce qui est important pour moi, c’est la dimension humaine. En arrivant, je ne savais rien de la culture de l’entreprise, mais c’était une asbl, sans but lucratif. L’objet social était clair: la qualité du service aux membres primerait sur l’argent qu’on fait rentrer. Ça, c’est ce que je me suis dit avant d’arriver. Une fois, dedans, ça a été la même chose: l’humain d’abord. Les gens, les collègues, les membres. Qui n’étaient pas vus comme des clients. On était tous une grande famille. J’aimais beaucoup cette dimension humaine qu’on a peut-être un peu perdue maintenant qu’on est une grosse machine. Mais finalement pas tant que ça. Dans mon quotidien, je la ressens toujours comme il y a 16 ou 17 ans.

 


Revenons sur ton parcours.
Tu es arrivée comme conseillère et assez vite, tu as coordonné une équipe. Quelles sont les grandes étapes de ton parcours personnel chez Smart?

J’adorais la formation. Je suis très pédagogue. Quand j’ai commencé comme conseillère, il n’y avait pas d’accueil, pas de formation. Tu apprenais sur le tas. C’était compliqué. Et je m’étais juré que je ne laisserais pas les nouveaux après moi vivre ce que j’avais vécu. Je suis solide et j’ai pu encaisser, mais c’était difficile. J’étais très seule. J’avais très peu d’accompagnement. Le cadre n’était pas très rassurant. Je ne savais pas si je faisais bien les choses et j’en ai fait des erreurs! En général d’ailleurs, j’apprenais après avoir fait une erreur. Évidemment, on n’était jamais réprimandés. Mais je m’étais dit: «Je ne veux pas ça pour les autres.» En tant que conseillère, je m’étais déjà engagée spontanément à donner un cadre aux nouveaux conseillers, à être là pour eux, pour les accompagner et être un point de repère pour les aider. Je l’ai fait et j’ai continué à le faire quand je suis devenue coordinatrice. Puis j’ai commencé à assumer moi-même la responsabilité des formations des conseillers. Parce qu’il faut savoir que n’importe quel conseiller qui était engagé à Liège, à Mons ou ailleurs, commençait par une formation à Bruxelles, parce qu’on avait une plus grosse équipe pour l’encadrer. J’ai commencé à créer des plans de formation et spontanément est venue la proposition: «Tiens, est-ce que tu ne t’occuperais pas à temps plein des formations, vu que tu aimes bien et qu’on ressent un vrai besoin?» J’ai donc accepté le poste. J’ai regretté ensuite, parce que celui de coordinatrice me correspondait très bien. Et puis, Smart a eu à ce moment-là des problèmes de trésorerie et il a fallu tout restructurer. La première chose qu’on fait quand on arrête les dépenses, c’est d’arrêter les formations. Je me suis donc retrouvée sans travail et sans opportunité d’avoir un poste à responsabilité. Et là, on m’a dit: soit tu redeviens conseillère, soit tu t’en vas. On ne me l’a évidemment pas dit comme ça, mais… j’ai réfléchi et je suis redevenue conseillère.

Ensuite, l’histoire a fait que je n’ai pas pu retrouver un poste équivalent à celui que j’avais à ce moment-là. Ma carrière est donc restée en stand-by. Aujourd’hui, c’est la raison pour laquelle je pars. J’ai envie d’avoir plus de responsabilités.

 


Pour revenir sur l’histoire de Smart,
est-ce que tu arriverais à repérer différentes étapes ou différentes phases qui marquent l’histoire de Smart?

Oui. Au début, on était une petite asbl. On faisait tout à la carte. On faisait probablement très mal les choses, pas dans l’ordre, mais tout passait. On n’avait vraiment jamais de soucis. C’était plus simple. Au fur et à mesure que l’entreprise a eu plus de poids sur le marché, on a dû mettre en place des procédures, structurer un peu plus les choses et les réglementer. Mais finalement, c’est venu fort tard. Il y a donc eu la période libre où Smart était innovant. On revendiquait le 1er bis pour nos membres, parce qu’on partait du principe que ça correspondait au profil de nos membres. Ils fonctionnaient de façon indépendante, mais pouvaient bénéficier de la sécurité et du droit social grâce à cette loi qu’on exploitait totalement. C’était notre revendication. On faisait beaucoup de lobbying pour défendre ça. On était très, très mal vus par les syndicats, comme n’importe quelle structure qui représentait le patronat. Il y avait ce côté: «On est des pirates» que j’aimais beaucoup et que je défendais très bien. Je trouvais que les arguments qu’on invoquait étaient légitimes. Jusqu’au moment où on a commencé à s’ouvrir à tout ce qui n’était pas artistique ou culturel. Notre argument n’était donc plus tellement valable. Smart avait grandi.

On a commencé à diversifier nos services, à faire du leasing pour répondre aux besoins de nos membres. On mettait à disposition des camionnettes qu’on louait. Il y avait plein de choses qui se mettaient en place. À un moment donné, l’inspection sociale a débarqué, et nous a dit: «Restructuration». Ça, ça a marqué un très gros changement qui s’est produit au moment où je suis devenue coordinatrice et ça a été très difficile. Ma coordinatrice est devenue directrice, j’ai pris sa place. C’est à ce moment-là qu’a eu lieu la restructuration de Smart, et qu’on a créé toutes les entités juridiques, dont Matlease, Productions associées, etc. Avant, il y avait juste Smart. Tout était beaucoup plus simple. Avec la restructuration, ça a été compliqué de comprendre et de maîtriser les enjeux. Et puis est arrivée une certaine maîtrise des services qu’on offrait en fonction de chaque entretien.

Il y a eu aussi l’obligation de créer le Palais de l’intérim, quelque chose qui ne correspondait pas du tout ni à notre envie ni à notre public cible, mais qui nous a été imposé. Je ne faisais pas partie des discussions à ce moment-là, mais on n’a pas réussi à convaincre que ça ne correspondait pas à notre public cible. La preuve, c’est d’ailleurs qu’aujourd’hui, on arrête le Palais de l’intérim: on peut aujourd’hui démontrer qu’on avait raison et que ça n’a rien à faire chez nous. Mais le Palais de l’intérim, c’était aussi une offre, et il a fallu comprendre les services qu’on y proposait. Ça aussi, ça a été un gros changement.

Pour moi, la période difficile de Smart a été la période d’arrivée du nouvel administrateur délégué au moment du départ de Julek2. Je pense que pour beaucoup de gens de Smart, ça a été un gros choc. Notamment parce que personne ne comprenait ce qu’il fallait faire. Il y avait comme un souhait de changer la culture de l’entreprise. Et puis, la création de la coopérative à l’arrivée de cet administrateur. Philosophiquement, tout le monde était d’accord pour créer une coopérative. Ça avait beaucoup de sens. Mais dans les faits, on était plus dans une entreprise hiérarchique que dans une coopérative. On a eu beaucoup de mal à adhérer à la coopérative, parce qu’on trouvait que depuis qu’on était devenu une coopérative, on s’éloignait de plus en plus des valeurs d’une coopérative. Jusqu’à l’arrivée de Maxime Dechesne et d’Anne-Laure Desgris, qui, eux, ont vraiment pu donner l’élan pour construire une vraie coopérative, en donnant notamment plus de pouvoir au conseil d’administration. Évidemment, à grande échelle, ce n’est pas facile d’être une coopérative, mais on sent que l’envie et l’ambition sont là et que le challenge, c’est comment le faire avec des sociétaires qui sont à la fois extérieurs et intérieurs à l’entreprise et pour lesquels les enjeux ne sont pas toujours les mêmes. Parallèlement à ça, j’ai retrouvé la culture d’entreprise et j’ai bien senti l’influence positive des changements d’administrateurs. C’est pour ça que je n’avais pas nécessairement envie de partir parce que j’ai retrouvé un peu le Smart d’avant. On dit toujours le Smart d’avant, même si on est quand même devenus une grosse machine, qu’on le veuille ou non. On est un peu victimes de notre succès. Mais il y a eu un effort pour garder cette dimension humaine que j’apprécie et que je sens dans les équipes, en tant que représentante du personnel. Pour nos 25 ans, on peut être plutôt fiers de ce qu’on a réalisé.

 


Qu’est-ce qui pour toi a fait
le succès de cette histoire? Quelles ont été les bonnes idées?

Clairement, on a simplement répondu à un besoin. On n’a fait aucun effort de publicité. Ce sont les gens qui en ont parlé. D’ailleurs, c’est fou le nombre de gens qui ne connaissent pas encore Smart. Encore aujourd’hui, quand j’en parle, on me dit souvent: «C’est génial, je ne savais pas du tout que ça existait.» Il y a donc encore un marché à prendre parce que ce que Smart propose répond à un besoin. Le statut d’indépendant fait peur à beaucoup de gens, surtout quand on veut se lancer, qu’on a une idée et qu’on ne sait pas encore comment s’y prendre. On sait bien que ça ne va peut-être pas être tout à fait rentable au début. En tant qu’indépendant, c’est très compliqué. Ça ne veut pas dire, si on a un projet très bien ficelé, qu’on ne peut pas se lancer tout de suite en tant qu’indépendant. Mais les gens qui viennent chez nous, c’est soit parce que leur projet n’est pas encore suffisamment bien ficelé, soit qu’ils n’ont pas encore assez de clientèle. Le fait qu’ils puissent cumuler leur activité avec des allocations chômage, ça donne un filet de sécurité qui rassure. Ils peuvent se dire: «Si jamais ça ne fonctionne pas, j’aurai quand même quelque chose à manger.» Nous, on est là pour les rendre autonomes. Ils n’ont pas besoin de nous pour travailler. Ils ont besoin de nous pour qu’on leur donne des conseils. Si quelqu’un est appelé pour un concert à 19 heures un dimanche pour remplacer un confrère qui est tombé malade, il peut encoder son contrat et y aller. Il n’y a pas beaucoup d’autres structures sur le marché qui permettent ça, du moins à ma connaissance. On a été très innovants et on l’est toujours.

 


L’innovation permanente,
c’est ça qui caractérisait Smart?

Oui, parce qu’on a continué à innover. Pour l’instant, je dirais qu’on n’innove plus beaucoup. Même si les idées sont là. On a des gens super créatifs qui comprennent bien les besoins du terrain, mais on n’a pas les moyens parce qu’on subit quand même de très gros contrôles. Avec l’impression qu’il y a un peu d’acharnement sur Smart. Ça demande beaucoup d’énergie et de temps de gérer tous ces contrôles, ce qui ne permet pas d’avoir du temps et de l’énergie pour l’innovation. Ces derniers temps, on est plutôt en train de sécuriser le modèle économique et d’améliorer les outils pour nos membres. On ne bouge plus trop. Ce n’est pas forcément mauvais. Car avant de continuer à innover, il faut sécuriser la base. Et puis, une fois qu’on aura un bon socle bien sûr, il sera toujours temps d’innover. On doit prioriser. C’est aussi ce que j’explique aux membres. Ce que je regrette quand même c’est qu’on ne fasse presque plus de lobbying alors que c’était une de mes fiertés. J’adorais la partie lobbying de Smart. Peut-être qu’on ne le fera plus jamais. Comme on a quand même un gros poids sur le marché du travail, je trouve qu’on devrait avoir un mot à dire dans des décisions politiques. Mais quand il y a des commissions paritaires où les représentants patronaux sont là, on n’est jamais à la table des discussions. Dans le temps, les syndicats avaient du mal avec Smart parce qu’ils disaient: «Vous êtes aussi bien employeur que défenseur des travailleurs. Ça n’existe nulle part ailleurs d’avoir ces deux casquettes.» Ce qui est vrai, puisque quand on faisait du lobbying, on défendait, avec la casquette d’employeur, les intérêts de nos sociétaires, qui étaient pour la plupart des travailleurs sous contrat. Je ne sais pas si c’est la seule, mais c’est peut-être une des raisons pour lesquelles on n’est pas invités dans les discussions qui concernent le secteur.

 


Est-ce que tu penses que
dans toute cette histoire, il y a un état d’esprit Smart que tu as trouvé au démarrage et qui persiste aujourd’hui? S’il y en a un, qu’est-ce que ce serait?

Un état d’esprit Smart? Je ne pourrais pas dire qu’il existe chez tout le monde. Mais il y a un socle. La preuve, c’est qu’il y a plein de gens qui restent, qui croient dans ce qu’on fait et qui ont envie de continuer à voir Smart évoluer. Pour autant, j’aurais du mal à mettre des mots pour décrire cet état d’esprit.

 


As-tu des anecdotes
qui sont révélatrices de cet état d’esprit ou des choses que tu as vécues ici?

Oui, les fameuses guindailles! Les fêtes Smart. C’est quelque chose. J’ai parlé à la femme de ménage qui est là depuis le tout début3. C’est la plus ancienne de tous les travailleurs, qui a connu le Smart des premiers bureaux. Elle m’a raconté qu’elle n’avait jamais eu autant de travail que quand elle est arrivée chez Smart. «Il y avait trop de fêtes!» Ces fêtes, c’était ce qui créait des liens. Parce qu’on avait quand même un travail hyper stressant. La croissance était exponentielle, on avait toujours du retard, on était toujours noyés sous le travail. Je n’ai jamais connu un moment où on se disait: «Je suis pépère.» On sentait toujours qu’on avait un cran de retard par rapport à la dimension du projet. Si on n’avait pas eu ces moments où, entre collègues, on discutait et on s’amusait, peut-être que plein de gens auraient craqué. La quantité de travail était phénoménale mais il n’y a pas eu de burn-out.

Aujourd’hui, cet esprit est encore un peu là, mais la dynamique est différente avec le télétravail. On ne rencontre plus autant les collègues. Quand on faisait un drink, c’était toujours improvisé, après une journée stressante où on sentait le besoin d’aller boire un verre. Alors avec ceux qui venaient, on se défoulait. Ça faisait du bien. Qu’est-ce qu’on a ri! Des fous rires, j’en ai eu par paquets. Je me souviens une fois quand j’étais conseillère, j’étais à l’accueil et je devais appeler un membre. Je suis tombée sur le répondeur et je riais tellement que j’ai dû raccrocher. J’ai dû tenter trois, quatre appels avant de pouvoir arriver à être sérieuse et à dire ce que j’avais à dire au membre. C’était l’éclate totale dans le travail et dans la relation avec les membres. Évidemment, il y en a quelques-uns qui sont pénibles, comme partout, mais le pourcentage de gens désagréables dans la communauté est ridiculement petit. Et puis, la relation est particulière parce que ce sont tous des gens qui ont vraiment besoin de ton aide. Et comme tu es là pour répondre à leurs besoins, ils sont contents que tu sois là. C’est donc très gratifiant comme travail. Peut-être que les gens qui travaillent dans d’autres départements ne comprennent pas toujours pourquoi on est là. Mais nous, les conseillers, on le sait.

 


Pour le lien qui se crée avec les membres?

Ceux qui sont toujours là restent clairement pour l’ambiance et le lien avec les membres et avec les collègues. Comme Sandrino4 disait toujours: «Les sociétaires sont également nos collègues.» Ce n’est pas tout à fait vrai. Il ne faut pas oublier que ce sont eux qui paient notre salaire, c’est un peu bizarre aussi. Certains membres nous le rappellent parfois. «C’est moi qui paie ton salaire, donc j’aimerais bien que…»

 


Peux-tu nous décrire cette ambiance?

Je suis arrivée en octobre 2006. Smart a été invité à tenir un stand au festival Esperanzah. Ça a été un moment inoubliable. C’était l’époque du Smart festif. Maxime Dechesne venait d’arriver, il était depuis six mois conseiller à Liège. On s’est rencontrés à ce festival. On était sur notre stand, sans grand succès d’ailleurs. Quelques personnes ici ou là qui venaient nous poser des questions. On s’ennuyait un peu et on s’est occupés comme on a pu. Je me souviendrai toujours qu’à la fin, Maxime devait présenter Smart sur le podium avec un micro. La veille, on avait tous fait une grosse, grosse fête. L’interview a été complètement ratée. Et on n’a plus jamais été réinvités à cet événement. Après, on a fait un débriefing avec la direction, et on a reconnu qu’on n’avait peut-être pas été très sérieux vis-à-vis des autres professionnels du festival. Aujourd’hui, ça n’arriverait plus. On faisait du mieux qu’on pouvait mais par rapport aux gens du stand d’à côté, on avait l’air de s’amuser beaucoup. Cette histoire montre pour moi à quel point on était encore très naïfs et très électron libre. On ne se rendait peut-être encore même pas très bien compte de l’ampleur du poids qu’on avait à ce moment-là sur le marché du travail.

 


Quel serait ton meilleur moment
ou ton meilleur souvenir chez Smart?

Il y en a vraiment beaucoup. Mais un truc dont je suis fière, c’est d’avoir constitué l’équipe orientation et accompagnement quand j’étais coordinatrice. À cette époque, les conseillers venaient chez moi en disant qu’ils n’en pouvaient plus, que c’était trop compliqué, que le travail était trop dispersé, qu’ils faisaient un peu du mieux qu’ils pouvaient, mais un peu à la va-vite et pas bien. J’avais cinq directeurs puisqu’on avait des directeurs par entité. Mais c’est avec Marc Moura5, qui était le directeur de l’Association professionnelle des métiers de la création que j’ai travaillé sur ce projet-là. Suite à ces discussions avec les conseillers, on a décidé qu’on allait scinder les tâches, et qu’ensuite on déciderait de leur attribution en discutant avec les équipes en place. Ça a été adopté par les conseillers. Je me suis occupée de l’équipe accompagnement où je n’ai pas eu de recrutement à faire parce que 95% de mon équipe voulait rester. L’équipe orientation, elle, a dû recruter de nouveaux profils et ça a super bien fonctionné. C’était chouette et pour la première fois, tout le monde était content. Je n’avais plus de gens en pleurs. Ils pouvaient vraiment faire de l’accompagnement, s’occuper de leur portefeuille d’activités, ils n’étaient plus tout le temps saturé. Je voyais les gens s’épanouir. Je suis bienveillante et je pars du principe que c’est bien d’être content au boulot, que c’est ça qu’il faut chercher. Pour fêter la constitution de l’équipe orientation, j’avais fait une brochure en couleur, une invitation à un repas pour fêter la constitution des deux équipes. C’est le moment dont je suis fière.

 


Voudrais-tu ajouter autre chose?

Peut-être juste mon entretien d’embauche avec Julek. À ce moment-là, j’étais maquilleuse professionnelle, donc je n’étais plus du tout dans le monde du travail classique… J’étais quand même un peu stressée. Il y avait Julek et Annelies Cassiers6, qui était coordinatrice des conseillers bruxellois. L’entretien a duré 20 minutes. Je suis sortie de là en me disant: «Je ne vais jamais être prise. Ce n’est pas possible, je ne me suis pas vendue.» Julek m’a posé deux ou trois questions très basiques: «Est-ce que tu as l’habitude de la comptabilité?» Moi, j’ai juste dit que je me débrouillais. Et puis, c’est moi qui ai interviewé Julek. Je ne me suis pratiquement pas présentée. Et puis, il m’a demandé: «Est-ce que tu sais travailler avec les chiffres?» Je ne sais pas pourquoi, je me suis permis de faire une blague. Je lui ai dit: «Oui, je sais compter.» Il a rigolé. Et puis, on a terminé la conversation. Après coup, je me suis dit que jamais je n’aurais dû faire ça. Dans une entreprise classique, jamais un entretien d’embauche un peu surréaliste comme ça n’aurait fonctionné. Mais chez Smart avec Julek, c’est passé.

 

 

 


 

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1. L’entretien s’est déroulé en octobre 2023. Après une pause, Sophie a repris part à l’aventure de Smart en 2024 dans l’équipe des ressources humaines.

2. Julek Jurowicz, co-initiateur et co-administrateur de Smart jusqu’en 2014.

3. Notre collègue Eliza Dos Santos de l’équipe de maintenance.

4. Sandrino Graceffa, administrateur délégué de Smart de 2014 à 2019.

5. Entré dans l’équipe de Smart en 2001, longtemps en charge du développement de Smart en Wallonie, Marc Moura fut ensuite directeur de l’APMC, Association professionnelle des métiers de la création, jusqu’à son départ en 2014.

6. Entrée dans l’équipe en 1999, Annelies Cassiers fut pionnière du contact et de l’accompagnement des membres. Elle a créé les bases de ce que font les conseiller·es aujourd’hui. Elle fut coordinatrice d’équipe, puis co-directrice de l’entité Productions Associées avec Bernard Moisse jusqu’en 2014, avant son départ en fin 2015.