Françoiz Breut

Artiste arrivée de France, installée à Bruxelles depuis 2000
Chanteuse et illustratrice, membre historique et sociétaire de Smart, elle développe son activité dans la coopérative
Créatrice de 10 albums de chanson française, elle a participé à de nombreux livres par ses illustrations, et expose régulièrement ses dessins et vidéos en France, Suisse et Belgique.

 

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Est-ce que tu te souviens comment tu as connu Smart, comment tu en as entendu parler?
Comment tu es arrivée là, en fait?

Je suis arrivée en 2000 à Bruxelles. Avant, j’étais intermittente en France. Il fallait trouver une solution pour que j’aie mon statut d’artiste pour continuer à faire des concerts, et que les contrats soient légaux. Pour moi, c’était ultra complexe, ces histoires de chiffres, d’heures à faire, tout ça… Après on avait ça aussi en France, 507 heures ou un truc comme ça, à l’époque. Moi, j’oublie tous les chiffres. Ma manageuse était venue à Bruxelles, on avait rencontré Pierre Burnotte , un des fondateurs, je me rappelle. On était dans les bureaux et on a réussi à faire en sorte que je puisse avoir ce statut. Voilà, ça c’était la première rencontre et à ce moment-là, je me laissais un peu porter, c’est-à-dire que je ne comprenais pas tout. Et en fait, il y a encore plein de trucs que je ne comprends pas, mais j’ai l’impression que j’arrive à me débrouiller dans le système de contrats. J’utilise Smart aujourd’hui comme des petits cochons en porcelaine, pour des projets différents, parce qu’en fait maintenant j’ai plusieurs activités. À la base je suis illustratrice, après je suis chanteuse, et puis on m’a proposé de travailler sur des pièces de théâtre en tant que musicienne, chanteuse et actrice. Je n’avais pas du tout prévu ça, mais c’est arrivé! J’écris aussi des chansons pour des livres-disques.

 

Smart nous permet de faire notre travail artistique, de nous poser sur quelque chose qui a l’air solide.

 


Tu te souviens de tes premières impressions, lors de cette rencontre avec Pierre Burnotte?

On était là-bas, sous les toits, vers la rue Émile Féron, dans les bureaux. Très sympa, tu te dis que c’est chouette, il y a quelqu’un qui peut t’aider. À l’époque, il n’y avait que cette solution, il n’y avait pas d’autre secrétariat social pour artistes. Et il n’y avait pas encore beaucoup de membres. On se disait, à Bruxelles, il n’y a pas tant d’artistes que ça en fait! On se sentait aidés, le fait d’avoir un rapport direct avec quelqu’un, de savoir que tu as une personne en face de toi, c’est quand même génial. On n’était pas encore dans ce truc-là, où les gens disparaissent derrière les machines. On était encore en rapport avec des gens.

 


Tu venais régulièrement dans les locaux?

Oui, il y a eu vraiment une période où je venais vraiment très souvent. À l’époque, tu remettais des notes de frais par courrier. Mais moi j’habite dans le centre, alors je me faisais un petit tour en vélo, et puis j’arrivais jusqu’ici, je les déposais, parfois j’avais rendez-vous avec ma conseillère. Je ne sais pas si on appelait déjà ça une conseillère, c’était Barbara Klepman. Et ça l’est toujours. Sauf que je la voyais quand même plus souvent. On s’envoie toujours des petits mots, mais je sens qu’elle a du travail jusqu’au ciel.

 


Tu sentais moins ça dans les années 2000?

Oui, il y avait moins de membres. Maintenant, c’est énorme, on est un petit grain de sable. En même temps, moi je trouve toujours ça très facile comme fonctionnement. Quand on a besoin d’un conseil, j’ai l’impression qu’on peut avoir un conseiller ou au moins une orientation, peut-être pas tout de suite, mais dans un délai raisonnable.

 

Moi, j’oublie tous les chiffres.

 


Est-ce qu’on t’a raconté des choses sur l’histoire de Smart?
Ou est-ce que c’est quelque chose qui est un peu loin pour toi?

C’est un peu loin. Je n’ai pas suivi tout le truc de passer de l’asbl à la coopérative, de tout ce qui s’est passé avec les réunions internes. Je suis au courant, mais je ne suis pas rentrée dedans parce que je travaille sur mes projets et que ça me prend un temps dingue. En tout cas, c’est sain, ça a l’air sain.

 


Tu décris quand même à travers ton usage de Smart une évolution, notamment sur la manière dont on travaille entre le début des années 2000 et aujourd’hui.
Et est-ce que ça a changé quelque chose dans ton rapport avec Smart?

Ça permet d’être indépendant sans se sentir indépendant. On réussit à avoir de petits outils qui font qu’on se sent soutenus par une structure, et qu’on arrive à gérer nos différents projets. C’est pour ça que je continue d’être là. J’ai essayé un moment de monter mon asbl, mais je me suis rendu compte que l’administratif, ce n’est pas mon truc. C’est normal de payer un secrétariat et de payer des gens pour faire ce travail, c’est leur boulot, ils savent faire ça. C’est un cliché, mais on va dire que les artistes sont un peu foufous, qu’ils ne savent pas bien ce qu’ils font. Smart nous permet de faire notre travail artistique, de nous poser sur quelque chose qui a l’air solide.

 


Entre les quelques bureaux côté rue Émile Féron et l’ampleur que ça prend aujourd’hui, est-ce que tu t’expliques le succès de Smart?
C’est quoi les vraies bonnes idées qu’a eues Smart?

À une époque, on pouvait louer des vans, c’est dommage mais ça n’existe plus. Il y avait aussi de la mise à disposition de locaux, j’aurais bien aimé avoir un local de répétition. C’est hyper dur de trouver des endroits pour répéter à Bruxelles, mais je crois que ça n’existe pas. Enfin, je ne me suis pas renseignée récemment, mais je pense que j’aurais su si ça existait! Avant le Covid, j’avais l’impression que c’était quand même un endroit où les gens se rencontraient, où il y avait du réseautage entre disciplines. Des gens qui débutent un projet et qui se sentent un peu perdus se sentent soutenus: il y a des formations, des stages, je trouve que c’est génial. Je pense que c’est ça, leurs bonnes idées.

 

Des gens qui débutent un projet et qui se sentent un peu perdus se sentent soutenus: il y a des formations, des stages, je trouve que c’est génial.

 


Est-ce qu’il y a des choses qui t’ont marquée dans tes rapports avec Smart, dans les échanges que tu peux avoir avec Barbara ou avec d’autres?
Est-ce qu’il y a des moments, des anecdotes, des choses qui t’ont marquée?

À un moment j’ai eu un problème, j’ai arrêté de travailler avec un label et j’avais besoin d’un médiateur pour pouvoir parler avec eux. J’ai eu la chance d’avoir, via Smart, quelqu’un qui soit entre moi et le label, en plus de Barbara qui était là aussi et qui avait suivi toute l’histoire. Ça, ça m’a vachement soulagée. Après, on m’a mis en relation avec un avocat pour aller plus loin, mais j’ai lâché l’affaire, j’étais rassurée. Ça, c’était une aide précieuse. J’ai eu de l’aide aussi pour des histoires de droits d’auteur, où je ne pigeais rien. Il y avait un flamand qui s’appelait Dirk Vervenne1 qui m’a aidée. Voilà, ce ne sont pas vraiment des anecdotes, ce sont des trucs administratifs par rapport à la fiscalité. Les chiffres, ça ne m’intéresse pas, c’est sûr que j’oublie! On m’explique, et j’oublie. C’est peut-être pour ça que j’en suis là! Ce n’est pas pour ça que je fais mon travail artistique, je le fais pour rencontrer des gens. Donc c’est bien d’avoir des gens qui savent vers quoi on va, ce qu’on a le droit de faire, ce qu’on ne peut pas faire, et qui nous mettent les points sur les “i” à un moment quand on est un peu perdu. Et après, j’oublie. Ce genre de choses, il faut que je les note dans mon carnet, et que j’aie le carnet à côté de moi pour m’en souvenir.

 


Tu nous as dit que tu avais préparé des choses à dire pour cet entretien?

Oui. Depuis le Covid, le fait que tout soit derrière des machines, on n’a quasiment plus de contact avec personne. À moins de venir ici, de prendre rendez-vous avec son conseiller si on en a vraiment besoin. Avant, vous voyez, j’envoyais des petites lettres à Barbara, je communiquais avec elle. Je communique par mail, mais ce n’est pas la même chose. C’est pour ça que je ne viens plus ici, ou quasiment. C’est aussi une question de temps, je ne lis plus les newsletters de Smart. Ça a l’air super intéressant tout ce qui s’y fait, mais voilà, c’est le truc des machines. Je suis la vieille qui ne veut pas, ce n’est pas une question d’évolution du monde, c’est juste le fait de ne plus avoir d’être humain derrière les machines, je trouve ça pathétique. Mais bon, c’est vers ça qu’on va.

 

Tout le monde passe par Smart, c’est ce qu’il y a de plus pratique.

 


Tu dis qu’il y a un vrai changement au moment du Covid?

Oui. Après évidemment, tu envoies les notes de frais par mail, c’est pratique. C’est hyper pratique. Il y avait quelque chose de plus humain dans le fait de déposer ses notes de frais à quelqu’un en particulier. Après, je comprends que ce n’est pas le truc le plus intéressant.
Aujourd’hui, il y a la volonté de numériser pour diminuer le travail administratif.

 


C’est intéressant de voir que pour toi c’était l’occasion de venir, alors que les autres temps proposés autour de la vie coopérative par exemple, tu n’as pas le temps d’y aller. Tu le dis, c’est pour ça que tu es venue chez Smart, pour avoir un soutien autour de tes projets, et pas le projet de Smart.

C’est un investissement, il faut avoir le temps aussi. Je suis venue à quelques réunions d’AG, avant que ce soit une coopérative. Je ne comprenais rien du tout. Barbara m’a invitée, et j’y suis allée, une fois, deux fois, et puis après…

 


Tu te souviens de quand c’était, de combien de personnes il y avait?

2010 peut-être. Je ne sais pas. Je ne vais pas être du tout précise. Il y avait quand même pas mal de gens, 25 personnes peut-être. Mais je ne suis pas sûre!

 


Aujourd’hui, il y a plusieurs centaines de personnes qui viennent pour l’assemblée générale.

C’est bien aussi, parce qu’on connaît plein de gens qui sont chez Smart, donc il y a des gens qui se retrouvent.

 


Dans ton réseau artistique, il y a plein de gens qui sont chez Smart?

Quasiment tout le monde. Là, j’ai dû passer par un bureau social pour artistes pour une choriste avec qui je travaillais. Mais sinon, tout le monde passe par Smart, c’est ce qu’il y a de plus pratique. Sur chaque projet, il y a des musiciens différents, et ils sont tous encodés chez Smart, c’est super facile. Et puis le bureau social, c’est vraiment juste administratif. Je me souviens d’une période aussi où Smart se demandait: qui est artiste, qui ne l’est pas? Est-ce qu’une poseuse d’ongles, c’est une artiste? Et maintenant, c’est beaucoup plus ouvert à tout le monde.

 

C’est génial parce que tu ne peux pas toujours faire des factures aux gens, il y a aussi des individus qui n’ont pas de société.

 


Tu avais un avis sur la question?

Je ne sais pas, c’est compliqué, le statut d’intérim. Ça a l’air tellement compliqué de pouvoir vivre de son travail quand tu as des petits boulots d’artisan que je ne peux pas juger quelqu’un qui commence à monter son petit truc et qui veut gagner sa vie. C’est difficile pour tout le monde. Pourquoi nous, les artistes, on serait les seuls à avoir ce privilège?

 


Tout le monde a droit à Smart?

Oui! Et maintenant, c’est le cas. Il n’y a plus d’interrogatoire pour savoir si tu es artiste. Avant on devait avoir notre carte, le visa artiste, qui ne servait absolument à rien. Une petite carte plastifiée qui venait du ministère de la Culture.

 


Que de chemin parcouru.
Est-ce qu’il y a des choses dont tu pensais parler et qu’on n’a pas abordées?

Attends, je regarde mes fiches… ah si, il y a aussi ce service, qui s’appelait “Monsieur Particulier”. Quand tu vends un dessin à un particulier, Barbara m’avait dit, tu fais bien ta facture dans ton facturier, à l’ancienne, et tu notes bien le nom de la personne, le montant, et ce que tu as vendu. Parce que si un jour tu as un contrôle, tu as tout noté. C’est génial parce que tu ne peux pas toujours faire des factures aux gens, il y a aussi des individus qui n’ont pas de société. Je vends des illustrations à 250€, 100€ ou même 25€, c’est des petites sommes qui s’accumulent et après je peux me faire un cachet là-dessus, sur un cumul de dix illustrations vendues. Bon après, il y a la moitié qui part, mais je me débrouille comme ça. Ça s’appelait Monsieur Particulier, je ne sais pas pourquoi ça ne s’appelle plus comme ça.

C’est mignon, ce nom.

Merci beaucoup pour cet entretien.

 

 


 

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1. Dirk Vervenne fut longtemps juriste dans l’équipe de Smart, spécialisé en droits d’auteur. Il a écrit de nombreux articles disponibles dans nos pages. Il est aujourd’hui toujours avocat, et Secrétaire du Comité d’intégrité scientifique de la VUB.