Thomas Blondeel
Conseiller dans l’équipe opérationnelle à Bruxelles dès 2009, puis à Gand 2012-2018.
Coordinateur du projet Smart aux Pays-Bas de 2017 à 2024.
Élu au conseil d’administration de la coopérative de 2017 à 2021.
Chargé de plaidoyer politique et institutionnel depuis 2019.
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Est-ce que tu te souviens de la première fois que tu as entendu parler de Smart ou de ton premier jour chez Smart?
Je me rappelle assez bien. J’en ai d’ailleurs parlé encore hier avec un ancien membre de Smart avec qui je suis allé déjeuner dans le quartier. J’ai été introduit chez Smart, par une copine que je connais depuis longtemps. Je suis musicien à la base et je travaillais à l’époque dans un magasin de musique. Ça ne me plaisait plus. Pendant une soirée autour du Nouvel An de 2008-2009, j’ai rencontré cette copine qui travaillait au bureau de Smart à Bruxelles. On discutait: « Le boulot, ça va, ça ne va pas, tralala… » Elle me disait: « Chez nous, on cherche des conseillers presque tout le temps. » C’est à Bruxelles, donc assez loin de chez moi. Mais c’est cool de travailler là, et puis il y a une bonne connexion de train. « Pense à postuler quand tu en auras vraiment marre. » Quelques mois après, j’ai postulé. J’ai envoyé ma lettre de candidature en mentionnant cette copine à Annelies Cassiers1 et à François Croix2 qui étaient responsables des RH. Ils m’ont invité pour un entretien. Six mois plus tard, en juin 2009, j’ai commencé. À ce moment-là, tous les gens qui entraient chez Smart recevaient une sorte de farde avec, dans ma mémoire, des milliers de papiers, enfin peut-être seulement une centaine. En tout cas, un gros classeur avec plein de textes, la majorité en français. Mon français n’était pas top. On parlait tout le temps de la règle du bûcheron. En néerlandais ce sont les houthakkersregels, règles du bûcheron, et je ne savais vraiment pas de quoi on parlait. On parlait des contrats intermittents. Et moi-même en néerlandais, je ne connaissais pas le mot “intermittent”. Je ne vais pas dire que je faisais semblant de tout comprendre, mais c’était quand même pas loin de ça.
Mais moi, je tombais du ciel. Pendant la première quinzaine, c’était un peu: “Waouh, c’est quoi tout ce bazar ici?”
Qu’est-ce que c’est les règles du bûcheron?
En gros, ce sont des règles de la sécurité sociale adaptées au caractère intermittent du travail des artistes, sur le fait qu’on travaille sur des projets non continus. Avec des périodes où tu travailles et où tu gagnes de l’argent, des périodes où tu prépares du travail et où tu ne gagnes pas d’argent et des périodes où tu ne travailles pas. Ce qu’on appelle du travail au projet. Pour ce type de travail, la sécurité sociale belge prévoit des ponts entre ces différentes périodes, mais se focalise surtout sur l’entrée au chômage. On parlait de règles du bûcheron parce que le bûcheron travaille pendant les saisons où il faut couper les arbres et le reste du temps, en tant que bûcheron, il n’a pas de travail. C’était ça la base. Mais moi, je tombais du ciel. Pendant la première quinzaine, c’était un peu: «Waouh, c’est quoi tout ce bazar ici?» J’arrivais vraiment d’un autre métier. En même temps, l’atmosphère me plaisait et le fait de pouvoir me lancer dans un truc pour lequel je n’étais a priori pas le plus grand spécialiste, m’attirait fortement. C’était une manière de sortir d’un boulot que je ne voulais plus faire, une autre piste avec plein d’enjeux, plein de challenges. Donc oui, je me rappelle très bien les premiers jours chez Smart.
Est-ce que tu arrives à te souvenir de toutes ces choses qui t’ont surpris, étonné, plu; ou moins plu d’ailleurs?
Le fait de se lancer dans une boîte francophone, ça m’effrayait. J’avais vraiment peur de ça. Je me rappelle très bien que très vite après la période d’introduction, on devait prendre des rendez-vous avec des gens à Bruxelles pour décrire le fonctionnement de Smart, expliquer comment on travaille, présenter les outils et la manière dont les gens pouvaient s’en servir. 99% de ces rendez-vous étaient évidemment en français. Ça, c’était un vrai challenge qui m’a forcé à dépasser un peu mes limites.
Parce qu’à l’époque, y compris dans l’équipe, ça ne parlait que français?
C’est un peu comme aujourd’hui, il y avait entre 80% ou 90% du personnel qui était francophone. Peut-être qu’on était un peu plus nombreux à être néerlandophones parmi les conseillers à cette époque-là. Je ne connais pas exactement les chiffres. Il y avait quelques personnes bilingues, mais la plupart étaient francophones. La plupart des membres utilisateurs qu’on devait rencontrer aussi. Je ne vais pas dire que ça ne me plaisait pas de devoir parler français, mais c’était quand même un vrai challenge. Ça, plus le fait que la matière était assez nouvelle pour moi. Mais dans la boîte, j’ai toujours eu l’impression que tout le monde avait suffisamment de patience pour te permettre de t’adapter au système. C’est même possible d’influencer un peu le système pour que le système s’adapte à toi. Ce n’est pas juste un système avec des procédures et des règles qui sont mises en place et qu’il faut respecter. Il y a évidemment la culture et l’environnement, les gens avec qui tu travailles, qui sont là et tu t’intègres là-dedans. Mais on te donne suffisamment de temps pour t’intégrer et pour trouver ta place. Ça, c’est un truc que j’ai senti depuis le début et qui me plaît toujours. Et ça n’a pas changé depuis.
J’ai toujours eu l’impression que tout le monde avait suffisamment de patience pour te permettre de t’adapter au système. C’est même possible d’influencer un peu le système pour que le système s’adapte à toi.
Ce sentiment que la machine s’adapte aux personnes reflète-t-il uniquement ton expérience ou également ton travail avec les membres?
Je pense que ça se sent aussi au niveau des services: la machine est au service des gens qui en ont besoin. Et cela s’applique non seulement aux sociétaires, mais aussi aux membres et à l’équipe de Smart. Ce n’est pas une machine qui est pilotée par une autre machine ou une grande force quelque part. C’est vraiment une machine qui fonctionne sur la base d’un besoin clair: des gens qui sont actifs dans le milieu artistique et qui ne sont pas trop familiers avec les aspects business de leur activité, la facturation, l’administration, la paperasse, etc. On va donc créer un dispositif qui les soutient sur ces points où ils ne sont pas au top et auxquels ils n’ont pas envie de dédier du temps. On installe un truc qui répond à leurs besoins. Dans l’histoire de Smart, ça a été la manière dont on a adapté ou réadapté le service, créé de nouveaux services, en fonction par exemple des contrôles fiscaux ou des inspections sociales. On essaye de toujours garder au centre les besoins des utilisateurs et les gens qui sont vraiment impliqués. L’installation de la coopérative met le focus là-dessus parce qu’à mon avis, aujourd’hui, les voix ou les outils démocratiques liés à cette structure juridique coopérative créent les conditions pour que les sociétaires puissent se mêler au débat autour de la structure, de la stratégie, des services proposés, de l’argent qui entre et du choix des dépenses… Comment gère-t-on tous ces aspects communs? La structure juridique de la coopérative permet aux gens de vraiment participer à ça. Je ne vais pas dire qu’on a déjà atteint l’objectif final parce que même si on parle de 35.000 sociétaires, je pense que le degré de participation peut encore augmenter fortement. Mais il y a quand même des choses qui sont déjà mises en place pour que tout le monde puisse s’exprimer. Il y a l’AG, il y a le rôle de membre du conseil d’administration, il y les groupes de travail (Smart in Progress et Smartlabs). C’est là que la structure coopérative donne vraiment forme à cette idée que Smart n’est pas juste une machine, pleine de procédures, qui rend des services mais une machine à la taille des personnes qui y sont impliquées.
Si on revient à ton arrivée chez Smart, est-ce qu’en tant que musicien impliqué dans le milieu de la musique,
tu connaissais ces problématiques ou est-ce que tu les as découvertes en arrivant?
Je connaissais les problématiques, mais je ne connaissais pas la solution proposée par Smart. Pour plusieurs raisons. D’abord, je n’avais pas cherché. Ensuite, parce que j’habite dans un coin néerlandophone où Smart est beaucoup moins impliquée, et l’était encore moins à l’époque. J’ai été musicien presque à temps plein entre 2002 et 2008-2009. Le premier bureau de Smart à Gand a été fondé, me semble-t-il, en 2006-2007. Quand j’ai commencé ma carrière musicale, il y avait déjà la solution Smart à Bruxelles, sous la forme d’une asbl à l’époque, mais il n’y avait pas d’antenne dans la Région flamande et c’était beaucoup moins connu. La problématique, elle, existait déjà depuis longtemps évidemment. En tant que musicien, effectivement, je sentais que ce n’était pas facile de se lancer. Le marché flamand est vraiment tout petit; il y a plein d’autres gens qui sont parfois beaucoup plus talentueux. Il y a beaucoup de concurrence. Ce qui veut dire que ce n’est pas si facile de s’installer en tant que musicien. La seule solution pour pouvoir survivre, c’est de cumuler des jobs non artistiques avec des jobs artistiques. À cette époque, j’ai commencé à vivre avec ma femme, qui a toujours eu des revenus assez stables. Je pouvais donc m’appuyer sur nos revenus communs. On n’avait pas encore d’enfants, la pression n’était pas si lourde. Mais à un moment donné, tu te rends compte que tu ne peux pas survivre comme ça pendant longtemps. Les enfants arrivent et avec eux, un peu de pression pour trouver un job stable. C’est là que je suis entré chez Smart. Donc oui, j’ai bien connu la problématique de devoir gratter pour des jobs, pour avoir de l’argent, pour survivre.
Je me rappelle encore les milliers de fax qui entraient dans la machine au premier et au deuxième étage: une machine énorme, qui crachait du papier presque tout le temps.
Quand tu es arrivé chez Smart, quel a été ton premier poste?
En 2009, je suis devenu conseiller à Bruxelles. Avec tous les challenges qui allaient avec. On n’était pas encore scindés en plusieurs équipes. On était une seule équipe avec plein de tâches qui n’existent plus aujourd’hui. Je me rappelle encore les milliers de fax qui entraient dans la machine au premier et au deuxième étage: une machine énorme, qui crachait du papier presque tout le temps. En néerlandais, on dit uitspuwen, braken. Et nous, on devait valider manuellement les contrats qui arrivaient via ce fax en les tamponnant, en mettant un numéro dessus, en les encodant manuellement aussi dans un système, type CRM, un logiciel de relation client un peu préhistorique. Et quand les contrats n’étaient pas signés ou n’étaient pas en ordre d’une manière ou d’une autre, il fallait appeler le membre: «J’ai bien reçu le contrat mais il manque ça ou ça.» Le quotidien de notre travail en tant que conseiller était complètement différent de celui qu’il est aujourd’hui. Aujourd’hui, il y a toujours un aspect administratif et de contrôle, mais ça a fortement changé.
Qu’est-ce qui a changé dans le métier?
La digitalisation et l’automatisation ont fortement transformé le travail. Aujourd’hui, je ne pense pas qu’il y ait encore de contrats qui arrivent comme ça et surtout pas via des fax. Ils sont envoyés par mail et on peut les renvoyer directement vers un système de validation plus ou moins automatique. Il y a toujours évidemment des contrats qui bloquent quelque part pour telle ou telle raison, parce qu’ils sont mal encodés ou parce qu’ils arrivent trop tard ou je ne sais pas quoi. La digitalisation a fortement changé le métier. À vérifier avec les gens qui sont toujours conseillers parce que moi je ne le suis plus pour le moment, mais je pense que ça leur laisse beaucoup plus de temps pour faire de l’accompagnement et des entretiens individuels. Que les relations sont aussi plus humaines entre les sociétaires et les conseillers. C’était le but de cette digitalisation: ne plus avoir à s’occuper de tâches purement administratives, noter les codes sur les contrats, les classer, etc. Ces tâches n’existent plus aujourd’hui, ce qui laisse la possibilité d’investir du temps dans la relation directe avec les membres.
La machine est au service des gens qui en ont besoin. Et cela s’applique non seulement aux sociétaires, mais aussi aux membres et à l’équipe de Smart. Ce n’est pas une machine qui est pilotée par une autre machine ou une grande force quelque part.
Quand tu es arrivé comme conseiller, tu étais spécialisé sur les néerlandophones ou pas du tout?
Ce n’était pas vraiment une spécialisation, mais c’était logique que quand un néerlandophone se présentait, il était rattaché à un néerlandophone et pas à quelqu’un qui ne parlait pas du tout le néerlandais. Dans les faits, il y avait tellement peu de néerlandophones que personne n’aurait pu dire: «Moi, je ne prends que des néerlandophones.» Donc en tant que néerlandophones, on était censés prendre des francophones aussi, évidemment.
Tu as toujours travaillé à Bruxelles?
Non, j’ai travaillé à Bruxelles entre le début de l’été 2009 et 2012, si je ne me trompe pas. Ensuite, j’ai postulé et commencé à travailler à Gand, dans un bureau qui est beaucoup plus proche de chez moi. Un poste s’est ouvert à ce moment-là. On était deux collègues de Bruxelles à habiter à Gand ou dans la région de Gand, Nele Cassiers, la sœur d’Annelies qui m’a engagé, et moi. Inke Decoster3 qui m’a introduit chez Smart travaillait déjà à Gand dans une antenne de Smart, en tant que conseillère. En 2012, on s’est retrouvés tous les trois à Gand et là, on a travaillé dans un environnement néerlandophone. Ne plus être dans la maison mère, ça change un peu la profession, le déroulé de ta journée en fait. Comme tu travailles dans une antenne, tu n’as plus le service de soutien, qu’en interne on appelle l’équipe rouge, qui organise, prévoit, met en ordre les locaux, commande le café, sort les poubelles, etc.: des trucs assez pratiques que tu dois désormais faire toi-même. Et puis, de gérer un bureau à trois, ça change un peu le niveau de responsabilité, surtout qu’on a déménagé deux ou trois fois dans cette période-là. On ne prenait pas les décisions tout seuls, mais on avait un certain degré d’autonomie. C’était à nous de décider ce que c’était qu’un bon bureau. Ça change un peu le contenu du travail. Dans un sens positif.
Pour toi, c’était quelque chose de positif?
Oui, parce que j’aime bien changer. Je suis un peu impatient et je n’aime pas trop travailler trop longtemps sur un même thème ou selon les mêmes modalités. Pour moi, c’était donc du positif de pouvoir changer de lieu et d’avoir d’autres responsabilités. Finalement, je constate que je me suis beaucoup occupé de partenariats et de relations avec d’autres organisations dans la région gantoise.
Ne plus être dans la maison mère, ça change un peu la profession, le déroulé de ta journée en fait. Comme tu travailles dans une antenne, tu n’as plus le service de soutien, qu’en interne on appelle l’équipe rouge, qui organise, prévoit, met en ordre les locaux, commande le café, sort les poubelles, etc.: des trucs assez pratiques que tu dois désormais faire toi-même
Est-ce que vous aviez aussi la responsabilité du développement de Smart dans la région de Gand?
Oui. C’était la responsabilité commune de l’équipe. Et ça me plaisait tellement qu’on a pris beaucoup d’initiatives. Finalement, ça a abouti au fait que, ensemble avec mes collègues du bureau local, je suis devenu une sorte de spécialiste, si je puis dire, qui s’occupait du développement territorial très spécifique de la région gantoise, mais aussi de toute la Flandre. On était dans un autre système de management à l’époque avec une sorte de middle management assuré par les coordinateurs et coordinatrices. À côté de ça, il y avait des gens qui avaient une sorte de spécialisation dans le développement territorial et là, on était deux, trois ou même quatre. Il y avait quelqu’un qui était focalisé sur la région d’Eupen, il y avait notre collègue Olivier Desclez4 qui se concentrait sur la région montoise et Sophie Bodarwé5 sur le reste de la Wallonie. Moi, j’étais un peu la porte d’entrée pour la Flandre, et j’ai tenté des expérimentations avec les collègues. Par exemple, on a essayé de lancer un bureau à Courtrai, un bureau à Genk. On avait des partenariats avec des institutions, avec des organisations comme Starterslabo (l’équivalent de JobYourself à Bruxelles), Stebo, SyntraPXL, iDrops et autres associations dont j’oublie le nom. Entre autres dans un projet pour guider sur le marché du travail et vers l’entrepreneuriat des réfugiés récemment arrivés dans le pays. Ça, c’est un des projets qu’on a menés entre 2016 et 2018.
Tu as le souvenir d’autres projets spécifiques que vous avez pu mener en Flandre et qui t’ont marqué?
On a essayé d’installer des bureaux dans les deux coins de la Flandre, à Genk au Limbourg et à Courtrai. Pas toujours avec un énorme succès. On a même dû les fermer. Ça n’a donc pas toujours été facile. Il y a aussi eu plusieurs projets autour d’une mise en relation avec des coopératives de la Région flamande. Au moment où Smart a décidé de devenir une coopérative, donc en 2016-2017, on a vu qu’en Flandre aussi il y avait une tendance dans ce sens. Ce n’est pas une nouveauté parce que le mouvement coopératif a une longue histoire, surtout à Gand. Mais à partir des années 2016-2017, l’intérêt pour le monde coopératif s’est renouvelé. Il y a eu de plus en plus d’initiatives de création de coopératives dans différents secteurs économiques, notamment dans la construction, mais aussi dans la location et l’agriculture. Par ailleurs, il y a plein d’initiatives qui émergent aujourd’hui à une échelle locale, qui ont un focus sur la durabilité et qui utilisent depuis quelques années de nouveau et de plus en plus souvent la structure juridique de la coopérative. Ça renouvelle l’intérêt et la dynamique. Nous, on a essayé de lier ces coopératives les unes avec les autres et de faire le pont avec le monde non coopératif, notamment avec les clients en général pour rendre le mouvement coopératif plus visible. On a par exemple essayé de mettre en avant le fait que la fromagerie Het Hinkelspel à Gand est une fromagerie coopérative. Il y a aussi les pharmacies de COOP Apotheken où dès lors que vous y achetez quelque chose, vous devenez coopérateur. On essaye de mettre des choses comme ça en place. Je suis devenu membre du conseil d’administration d’un réseau qui s’appelle ‘Coopkracht’, un jeu de mots à partir de Koopkracht, qui veut dire ‘pouvoir d’achat’ en néerlandais. On a une petite asbl qui regroupe aujourd’hui une centaine de coopératives néerlandophones flamandes dans un réseau qui les inspire, qui les met en réseau et qui essaye de mettre un peu plus en avant les aspects coopératifs. Tout ça, c’est en lien avec notre travail.
C’est un mandat que tu tiens au titre de Smart ou un mandat oque tu tiens à titre personnel?
Officiellement, je fais ça à titre individuel. Mais évidemment, je ne serais pas là si je ne travaillais pas chez Smart. C’est logique.
Donc en 2012, tu arrives dans l’antenne de Gand. Quel a été le changement suivant?
Dès 2017, j’ai commencé à m’occuper de Smart aux Pays-Bas. Il n’y avait pas encore d’antenne, mais des partenaires essayaient de développer Smart là-bas depuis 2012-2013 et il y avait des malentendus voire des conflits parfois entre ces partenaires locaux et le management central de Belgique qui soutenait quand même financièrement les partenaires. Fin 2017-2018, on m’a demandé, en tant que néerlandophone, de m’occuper des liens entre la maison mère et les partenaires locaux. Mais pour le moment, on n’arrive pas à installer une dynamique. On n’a pas l’objectif en tant que Smart Belgique d’investir de l’argent pour installer nous-mêmes une antenne aux Pays-Bas. Et il n’y a pas de partenaire structurel qui émerge, et qui s’engage pour prendre en main le projet, avec le soutien de Smart Belgique. Les conditions ne sont pas réunies pour continuer et on a décidé fin 2022 de suspendre le travail là-bas. En attendant de nouvelles opportunités. Début 2018, j’ai travaillé très brièvement à la direction opérationnelle du développement des services, soit l’exploration du développement des nouveaux services. On parlait déjà depuis longtemps du fait qu’il fallait développer d’autres services à côté des services qu’on avait mis en place depuis longtemps. Quand on parle de services, on parle surtout des deux outils qui permettent à des gens de travailler: l’outil contrat simple, qu’on appelle le 3en1 aujourd’hui, et le contrat ou l’outil Activité. Depuis longtemps, on se disait qu’il fallait créer d’autres services en parallèle parce qu’on voyait qu’il y avait pas mal de gens qui ont des besoins spécifiques parce que leur activité tourne très bien ou au contraire ne tourne pas bien. En tant qu’organisme collectif, il faut pouvoir s’adapter aux besoins des gens qui sont dans ta communauté. Début 2018, j’ai travaillé brièvement là-dessus pour voir si on pouvait faire des expérimentations. Mais ça n’a pas duré longtemps. Peut-être que je ne trouvais pas ma place ou qu’il y avait d’autres priorités, et j’ai vite rebasculé vers des aspects de relations publiques comme je faisais avant dans le cadre du développement territorial. Une année après, en 2019, j’ai rejoint la direction générale pour me focaliser sur les relations publiques côté néerlandophone. C’est-à-dire les réseaux, les mises en contact avec les partenaires, etc.
En tant que chargé de plaidoyer je reprends maintenant les responsabilités de mon binôme francophone qui a quitté la maison tout récemment et qui travaillait par exemple au niveau international avec CECOP/CICOPA et l’Alliance Coopérative Internationale, les organisations internationales qui s’occupent de la représentation du monde coopératif dans les différents secteurs économiques. J’essaye de reprendre ces contacts-là. Je termine le travail sur Smart Pays-Bas et je m’occupe d’un projet de pédagogisation du modèle économique de Smart.
Il y a plein d’initiatives qui émergent aujourd’hui à une échelle locale, qui ont un focus sur la durabilité et qui utilisent depuis quelques années de nouveau et de plus en plus souvent la structure juridique de la coopérative. Ça renouvelle l’intérêt et la dynamique. Nous, on a essayé de lier ces coopératives les unes avec les autres et de faire le pont avec le monde non coopératif, notamment avec les clients en général pour rendre le mouvement coopératif plus visible.
Je ne m’attendais pas à voir réémerger quelque chose qui est plutôt lié à ton premier métier de conseiller.
Comment est venue cette mission autour de la pédagogisation?
Je pense qu’on en avait besoin pour faire comprendre qui on est, et ce que l’on fait. Il y a plusieurs moyens via lesquels on finance nos services. Le volet le plus clair et le plus simple, c’est une contribution qui est comprise dans le chiffre d’affaires sur la base de 6,5% de chaque facturation. À côté de ça, il y a des contributions moins visibles dans le sens où elles ne sont pas toujours connues en amont et qui sont liées au contrat de travail, donc à une partie de l’activité économique. Si on part de la facturation, il y a des frais de production et une partie que tu utilises pour calculer le salaire, pour rémunérer ton travail. Dans ce calcul-là du salaire, il y a des éléments qui permettent de financer la structure. On fait une sorte d’estimation du coût salarial. Cette estimation est toujours faite un peu à la hausse, ce qui veut dire qu’il y a une marge entre le coût estimé et le coût réel de l’emploi, donc du budget salarial. Par ailleurs, sur l’enveloppe totale des contributions à la sécurité sociale, il y a des réductions attribuées à l’employeur sur certains types de contrats selon différents critères, par exemple selon la fonction artistique ou non artistique ou selon la hausse de salaire. Ces réductions-là sont mutualisées. C’est donc aussi une sorte de revenu pour la structure, comme ils compensent en partie les frais des contributions à la sécurité sociale. Ces deux piliers que sont la marge sur le calcul et les réductions sur les cotisations patronales sont trop peu connus et ça crée des malentendus et même plus que des malentendus parmi les sociétaires, mais aussi parmi les partenaires. Il y a des gens qui regardent le système et qui se demandent comment est-ce qu’on finance tout ça. Quand on a eu des partenaires étrangers qui voulaient lancer des Smart en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas par exemple, on leur tenait le discours qu’on finançait le service de Smart en prélevant 6,5% sur le chiffre d’affaires, point barre. Mais les choses étaient plus complexes. C’est ce constat qu’on découvre, qu’il y a d’autres revenus qui financent la structure Smart en Belgique, qui nous ont amenés à dire qu’on devait mettre en place un projet qui permette d’analyser comment aujourd’hui on finance la structure et ce qu’est la contribution. Pour pouvoir ensuite nous demander si on est en capacité d’ouvrir le débat sur comment on finance la structure. Sachant que si on ouvre ce débat, il y aura peut-être des voix qui vont dire qu’il faut diminuer les 6,5% ou qu’il faut réattribuer les réductions aux différents contrats qui ont permis ces réductions. Avant de lancer ce débat, on va devoir être au clair sur ce qui est possible ou pas. Parce que si tu modifies l’assiette des revenus, il faudra changer le côté service. Et à l’inverse, si tu veux changer le côté service, ça veut dire que tu as besoin de plus ou moins de revenus pour les financer. Il y a donc un travail de pédagogie à faire pour les sociétaires et les conseillers. Mais il faut aussi le faire dans nos relations avec les partenaires et les institutions publiques.
J’ai bien fait de demander parce que quand tu as dit ça, je pensais que c’était autour du modèle économique des activités des membres, alors qu’il s’agit du modèle économique de Smart, ce qui fait plus sens effectivement.
En sachant que le modèle économique de Smart, c’est le modèle économique cumulé des membres et des sociétaires. Smart en soi sans ce que les sociétaires produisent n’existerait pas, évidemment.
Je crois savoir que tu as été aussi administrateur de la coopérative?
La coopérative SmartCoop a officiellement été lancée en novembre ou décembre 2016, si je ne me trompe pas. Suite au processus Smart in Progress. En 2017, on a eu les élections des membres du conseil d’administration. Comme j’étais assez enthousiaste sur l’idée et le modèle coopératif, je me suis porté candidat avec quelques sociétaires et deux ou trois autres collègues de l’équipe permanente. Il y a eu 18 élus et je ne connaissais presque personne au début. Ça a été une belle expérience. Pas toujours facile parce que le CA jusqu’ici est toujours présidé par l’administration déléguée. Je travaillais donc au sein du CA en tant qu’administrateur avec la personne qui le lendemain était mon chef. Ça n’a pas toujours été une situation confortable, mais en même temps, je me suis toujours bien entendu avec Sandrino. J’ai toujours pu être franc et honnête avec lui. Sans le brusquer, évidemment mais on a pu nommer les choses telles qu’elles sont. Ça a été ma première expérience en tant qu’administrateur. Ensuite, j’en ai eu l’expérience dans d’autres asbl comme Coopkracht.
C’était un mandat de deux ou trois ans?
Le mandat était prévu pour quatre ans, mais je suis parti au bout de trois, en 2020, pour des raisons personnelles et de gestion de temps.
Il y a des choses de cette période au conseil d’administration qui t’ont particulièrement intéressé ou marqué? Des chantiers dans lesquels tu t’es investi?
Ce qui m’a surpris, c’est le temps que ça prend de se connaître. Et pas que dans le cercle du CA. Moi j’étais un peu privilégié dans le sens où je connaissais un peu la maison en tant qu’employé, mais il y avait d’autres gens qui ne la connaissaient qu’en tant que sociétaire et qui ne connaissaient pas nécessairement la structure de la direction par exemple: qui est responsable de quoi? Qui travaille sur quel chantier? Ça a pris à tout le monde peut-être presque toute la durée du mandat pour avoir une vue d’ensemble de toute la structure avec ses différentes entités juridiques, en pleine mutation. C’est marrant de constater qu’on a très peu travaillé sur des sujets concrets ou stratégiques et qu’on a dû s’occuper beaucoup de la mise en place, résoudre la question de savoir comment on doit travailler, s’entendre, se comporter vis-à-vis d’autres instances; quel est notre impact sur le travail quotidien de toute la direction; quelle est la relation avec les autres instances, notamment la fondation; dans quelle mesure on peut prendre des décisions sur telle ou telle thématique; comment le conseil d’administration d’une coopérative comme Smart doit fonctionner. C’était même parfois frustrant. Mais en même temps, c’est comme ça qu’on apprend. Ça a été très différent quand je suis arrivé dans un CA comme celui de Coopkracht qui travaille déjà depuis 20 ou 25 ans. Là tu arrives dans une sorte de machine où il y a déjà une routine. Qui peut changer, mais il n’y a pas nécessairement à réinventer la roue. Au CA de Smart, on devait vraiment inventer comment fonctionner, comment se comporter l’un vers l’autre, comment se comporter envers l’administration générale, la direction, vis-à-vis des autres instances actives. C’était donc intéressant mais parfois frustrant parce que pas toujours suffisamment concret.
Cette structure coopérative nous permet de nous inscrire dans ce qu’on appelle à Bruxelles et en France l’économie sociale. C’est une autre notion côté néerlandophone. Ça nous permet de montrer qu’on n’est pas une boîte capitaliste qui essaye de gagner de l’argent sur le dos des membres.
En ayant rejoint l’équipe en 2008-2009, tu as traversé quinze ans de l’histoire de Smart. Est-ce que tu arrives à découper cette histoire? Y a-t-il des grandes périodes qui se dégagent de ces quinze années?
Pour moi, il y a la période pré-coopérative et la période post-lancement de la coopérative. La transformation en coopérative a eu des répercussions concrètes dans mon travail quotidien. Depuis qu’on est une coopérative, l’atmosphère autour de Smart a changé. Même si ça n’a pas encore changé tout à fait comme il faut. Mais il y a quand même une autre approche ou une autre image extérieure de Smart. Cette structure coopérative nous permet de nous inscrire dans ce qu’on appelle à Bruxelles et en France l’économie sociale. C’est une autre notion côté néerlandophone. Ça nous permet de montrer qu’on n’est pas une boîte capitaliste qui essaye de gagner de l’argent sur le dos des membres. On essaye de mettre en œuvre des services au profit des gens qui en ont besoin et d’utiliser l’argent qu’on gagne avec toute la communauté pour le réinvestir dans de nouveaux projets qui ouvriront de nouveaux services ou qui répondront aux besoins des gens qui sont actifs dans la coopérative.
Ça, tu trouves que ce n’était pas clair avec l’asbl?
Je pense qu’on pouvait beaucoup plus facilement être critique là-dessus parce que c’était beaucoup moins transparent avant. Mais le travail n’est pas encore abouti. Il y a par exemple tout un travail à faire sur le modèle économique et sur la transparence en général que je mène avec l’équipe autour de ce qu’on met en œuvre et comment on le finance. Il y a le travail de notre équipe juridique et de l’administration générale sur la restructuration de toutes les entités Smart pour réussir à montrer clairement que c’est la coopérative qui pilote toutes les structures qui sont en dessous. Ce travail n’est pas encore terminé parce que la fondation joue toujours un rôle à côté de la structure coopérative. Pour moi, c’est surtout du travail de transparence, qui nous aide à expliquer ce qu’est Smart aux gens qui sont un peu méfiants. Je le vois surtout dans la région néerlandophone où j’entends encore des gens dire: on ne comprend pas trop ce que c’est, Smart. C’est un truc, c’est francophone, ce qui s’y passe n’est pas toujours clair. Il y a beaucoup d’argent qui tourne là-dedans. Ces discours sont nourris en partie par les syndicats qui ont le droit de dire qu’étant donné que Smart travaille dans différents secteurs, elle devrait normalement s’affilier à chaque commission paritaire de secteur. Mais comme on sort un peu du monde artistique, on est affilié à la commission paritaire 304. La première réponse, pour moi, c’est d’être clair sur ce qu’on fait: on essaye de mettre en œuvre des services, on ne prend pas d’argent sur le dos des gens qui utilisent les services. On essaye par contre de le réinjecter dans le développement de nouveaux services. Le fait d’installer une coopérative avec des voix démocratiques, une vision claire sur la non-rémunération du capital et le réinvestissement des profits dans le développement des services, ça a été un moment de déclic. Pour moi personnellement, ça a changé mon travail et pour la structure, ça a changé le discours vis-à-vis des membres, des partenaires, des instances publiques, des syndicats.
Est-ce que tu vois d’autres moments comme ça qui ont été marquants et qui constituent des tournants pour la coopérative?
Je dirais le moment de la crise sanitaire, même si c’est un moment qui n’est pas spécifique à Smart. Ça a été une période presque fascinante. Quand on le regarde après coup, en espérant qu’on ne revivra plus jamais ça, ça a été un moment où on a constaté que la maison ne flanchait pas. La structure est assez grande, économiquement. Il y a beaucoup de permanents qui y travaillent et de sociétaires qui y développent une activité économique. Une grande boîte qui a montré beaucoup de flexibilité pendant cette période de crise. Grâce aux mesures de soutien des différents gouvernements, on a pu s’adapter vite, à un moment où une grande partie de l’activité économique s’est arrêtée. Il a fallu s’adapter aussi pour nos dépenses. Dans une maison comme la nôtre, la plupart des dépenses sont les salaires des collègues permanents qui soutiennent (in)directement les activités économiques des sociétaires. Il a fallu rapidement diminuer nos charges. On a pu le faire grâce aux mesures de soutien des différents gouvernements. Ce qui me frappe, c’est qu’on avait pas mal de gens qui travaillaient dans l’événementiel ou dans le secteur artistique, qui ont été fortement touchés par le Covid, voire complètement mis à l’arrêt. Et malgré ça, le chiffre d’affaires général de la structure ne s’est pas complètement effondré. On a eu une baisse d’environ 20%. Ce qui montre une certaine flexibilité de la structure et de toutes les activités des sociétaires, nécessaire pour pouvoir rebondir dans ce genre de crise.
Ce sont parfois des événement extérieurs effectivement qui marquent des tournants et des prises de conscience.
C’est important de le mentionner. Je ne sais pas si on peut déjà dire que c’est une preuve de la solidité de la structure, parce qu’on doit bien analyser comment les choses se sont exactement passées. Mais comment expliquer qu’alors que tout le secteur événementiel et artistique a été fermé à un moment donné, l’impact sur le chiffre d’affaires total de la structure Smart n’a été que de 20 ou 22%? Ça vaut la peine de bien analyser ça pour pouvoir en tirer des conclusions.
On a déjà fait un bon tour dans l’histoire.
[…] travailler à une échelle européenne, ça nous donne aussi une voix dans le débat public à l’échelle européenne.
Tu as évoqué tout à l’heure ton rôle par rapport au développement aux Pays-Bas. Dans l’histoire de Smart, il y a un fil conducteur autour de la question du développement international, de cette ambition européenne, voire plus large. Toi, tu y as contribué à un moment avec les Pays-Bas. Quel est ton regard sur ces ambitions de développement international de Smart et les réalisations qui ont eu lieu?
Personnellement, je suis très content d’avoir pu vivre cette expérience. Je n’ai pas vraiment de lien avec les Pays-Bas, à part la langue, mais c’est un pays que j’aime bien. En même temps, ça m’a mis en connexion avec les partenaires suédois, germanophones, autrichiens, italiens, etc., tous les collègues qui étaient ou qui sont encore impliqués dans le projet européen. Je comprends l’ambition. Quand on regarde les documents stratégiques qu’on a eus, qu’on a écrits ou qui ont été écrits dans le passé, cette ambition de se développer apparaît noir sur blanc. Celle de vouloir travailler à un niveau européen aussi, même si c’est tout simplement pour pouvoir répondre à des besoins locaux qui sont communs à tout le monde. Le premier volet, c’est donc de répondre à des besoins semblables dans les différents pays. Le deuxième volet, c’est de se dire que travailler à une échelle européenne, ça nous donne aussi une voix dans le débat public à l’échelle européenne. En même temps, on a constaté que, surtout au niveau économique, ce n’est pas toujours aussi facile et logique de copier-coller un modèle d’un pays à l’autre. Notamment parce que la législation des entreprises mais aussi la législation de la sécurité sociale peuvent être similaires, mais dans la plupart des cas diffèrent. Ce qui veut dire que le modèle économique ne peut être le même en Allemagne, en Belgique, etc. Le pilier de financement que j’évoquais plus haut où une partie des revenus provient des réductions de charge que nous accorde la sécurité sociale, sauf erreur de ma part, n’existe pas ailleurs qu’en Belgique. En tout cas, il n’existe pas aux Pays-Bas. Ce qui veut dire qu’il faut travailler avec d’autres moyens. Par exemple, changer la contribution sur le chiffre d’affaires. En effet, sans ce deuxième pilier de financement, il faut soit adapter le service en diminuant fortement l’offre de service, soit augmenter les contributions des membres et des sociétaires. C’est-à-dire changer de modèle économique. Mais en même temps, il faut garder le lien entre les différents modèles Smart et s’assurer que Smart en Belgique, Smart en Allemagne et Smart en France ne diffèrent pas trop les uns des autres. C’est un exercice d’équilibriste, où il faut mettre en avant les valeurs, les missions et les principes de base que vous voulez atteindre. Il faut trouver une base de communs entre les différents pays et permettre à Smart de s’adapter dans chaque pays au contexte national, législatif et culturel. C’est sur cet exercice qu’il y a eu des malentendus et même des conflits entre le management belge et le management des Pays-Bas. Parce qu’à un moment donné, ils étaient beaucoup trop éloignés. Smart Pays-Bas voulait mettre en œuvre des services, même pour les indépendants. Parce que la plupart des gens qui travaillent dans le secteur artistique aux Pays-Bas sont d’office des indépendants. Parce que c’est très facile d’obtenir un statut d’indépendant aux Pays-Bas dans une logique libérale et néo-libérale, très forte chez eux. Dans ce contexte-là, les services que Smart Pays-Bas aurait pu proposer étaient des services pour des travailleurs indépendants: des services de cash-flow par exemple, beaucoup trop éloignés du modèle de base construit en Belgique, où on met en avant la protection sociale, la solidarité dans l’entreprise sur la base de la solidarité nationale, en lien avec la sécurité sociale.
C’est un exercice d’équilibriste, où il faut mettre en avant les valeurs, les missions et les principes de base que vous voulez atteindre. Il faut trouver une base de communs entre les différents pays et permettre à Smart de s’adapter dans chaque pays au contexte national, législatif et culturel.
Dans plusieurs pays, j’ai pu observer des conflits: ça a pris beaucoup de temps de se mettre d’accord sur les éléments importants à importer d’un pays à l’autre. Et pas uniquement sur les éléments financiers évidemment. C’est le travail de notre équipe belge du développement que de mettre le focus sur un point d’équilibre pour tous les partenaires européens. 2023 a été la date choisie pour amener toutes les entités et tous les partenaires à atteindre le point d’équilibre. Cet objectif-là a aussi forcé tout le monde à adopter un système de reporting commun. Et même ça, ce n’est pas courant. Dans chaque discussion, il y a un équilibre à trouver entre l’objectif mis en avant et sa déclinaison locale dans chaque pays. Parfois, ça échoue, mais un échec, ce n’est pas la fin du monde. Si on met fin au travail avec les Pays-Bas, même si ça peut avoir des conséquences parfois sévères pour les gens qui y travaillent, c’est une expérience en soi. On apprend. Moi, personnellement et la boîte aussi. Le fait d’avoir appris plein de choses nous aidera à un moment donné, le jour où un partenaire néerlandophone frappera à la porte, en nous disant que ce qu’on fait lui paraît intéressant et qu’il faudrait lancer quelque chose aux Pays-Bas. Nous, on aura déjà une expérience à faire valoir dans notre sac.
Ça fait une base.
C’est une bonne base effectivement, pour éventuellement relancer un projet ou pour apprendre et partager avec d’autres pays.
Pour terminer, est-ce qu’il y a des anecdotes qui te viennent, qui te semblent un peu représentatives de ce qu’est Smart ou des moments qui illustrent le projet ou la vie que tu as menée dans ce projet?
Je repense à une phrase de mon collègue Nicolas Deckmyn6. C’était le jour de l’assemblée générale et après la partie formelle, il y a toujours un moment festif. Moi, je ne reste pas toujours. Je ne vais pas dire que je suis le premier à partir, mais je ne suis en tout cas pas le dernier à rester. On était dans la cour, il y avait de la musique, une belle ambiance. Et Nicolas a dit tout simplement: «This is my tribe» (ça, c’est ma tribu.) J’ai toujours retenu ça. Je ne veux pas devenir trop fluffy là-dessus, mais Smart, c’est beaucoup plus qu’une simple entreprise. Rien que le fait que ce soit une entreprise partagée, ça la rend assez particulière. Ce sont aussi les relations entre les collègues permanents, les relations avec les sociétaires qui font que Smart n’est pas une boîte comme une autre. Ma femme me dit souvent qu’elle a un peu peur que si un jour je quitte Smart pour une raison ou pour une autre, ce soit super difficile pour moi de m’adapter. Parce que je ne connais pas trop de boîtes avec une telle atmosphère. Ce qui ne veut pas dire que c’est toujours la fête et que je viens toujours travailler avec le plus grand sourire. Il y a parfois des moments où je suis très peu motivé ou des moments où je suis très peu enthousiaste, même des moments où je me pose plein de questions, mais en même temps, je reviens toujours sur cette idée que j’y ai beaucoup d’autonomie en tant qu’employé. Dans les faits, je suis dans une relation de subordination. En tant qu’employé, je suis obligé de faire ça et ça et j’ai un chef. Mais j’ai quand même le sentiment d’être dans une relation authentique. On a d’ailleurs eu une formation assez récemment sur comment se relier avec authenticité, authentic relating. C’est vraiment un truc qui me plaît tellement, la relation humaine.
Ce sont aussi les relations entre les collègues permanents, les relations avec les sociétaires qui font que Smart n’est pas une boîte comme une autre. Ma femme me dit souvent qu’elle a un peu peur que si un jour je quitte Smart pour une raison ou pour une autre, ce soit super difficile pour moi de m’adapter.
Pour toi, ça tient aux relations humaines ou ça tient au projet que vous défendez ensemble?
Je pense que c’est les deux. Quand j’étais dans la vente d’instruments de musique, j’ai toujours dit: «Je ne peux pas vendre de machine à café parce que je ne bois presque pas de café.» Je ne peux pas vendre un truc dans lequel je ne peux pas me reconnaître. Comme j’ai été musicien, je sais, pour l’avoir vécu, combien Smart peut apporter une plus-value aux artistes. Le fait de défendre ces valeurs, au-delà des défis et des problèmes qui restent à résoudre, ça crée un lien fort entre tous les gens qui travaillent pour Smart.
C’était très intéressant. Encore un autre point de vue sur l’histoire.
Il y en a plein. Chacun a sa vérité.
Personne ne prétend avoir la vérité, mais chacun a son histoire et met le projecteur à différents endroits.
En fait, c’est la même histoire. Comme dans les romans, chaque personnage a son chapitre.
(cliquez sur le numéro de la note pour retourner à cet endroit du texte)
1. Entrée dans l’équipe en 1999, Annelies Cassiers fut pionnière du contact et de l’accompagnement des membres. Elle a créé les bases de ce que font les conseiller·es aujourd’hui. Elle fut coordinatrice d’équipe, puis co-directrice de l’entité Productions Associées avec Bernard Moisse jusqu’en 2014, avant son départ en fin 2015.
2. Dans l’équipe de Smart de 2010 à 2016, François Croix était en charge de tout ce qui allait plus tard constituer le service RH. Salaires, protections, mobilité, et relations humaines.
3. Longtemps conseillères partageant la gestion du bureau Smart de Gand, Inke Decoster depuis 2009 et Nele Cassiers depuis 2010, toutes deux ont depuis rejoint l’équipe de soutien à la direction opérationnelle.
4. Entré comme conseiller dès 2003, Olivier Desclez fut longtemps responsable du bureau Smart de Mons, puis chargé de développement territorial et stratégique jusqu’en fin 2019.
5. Conseillère dès 2005, Sophie Bodarwé est devenue coordinatrice régionale pour la Wallonie dès 2008, puis chargée de développement territorial, et coordinatrice des groupes de travail « Smart in Progress » jusqu’à son départ en fin 2018.
6. Entré dans l’équipe en 2007, Nicolas Deckmyn fait partie de l’équipe de communication dans la Direction générale.