Céline Viardot

Formatrice et sociétaire des structures Smart d’Allemagne puis de France, Céline Viardot collabore avec Smart en Belgique depuis 2019. Elle a créé « Donner du sens à l’entreprise » qui accompagne les personnes et leurs projets dans leur fonctionnement économique. Elle développe cette activité chez SmartDe EG, toujours entre Berlin et Bruxelles.

 

Lire le récit de Céline Viardot en pdf

Lire d’autres interviews

 


Te souviens-tu de ton premier jour
à Smart, ou du moins la première fois que tu as entendu parler de Smart? Peux-tu nous partager les souvenirs qui te reviennent?

Alors si on parle du premier jour à Smart, pour moi ça serait à Smart Allemagne. Avant de créer mon activité de formations « Donner du sens à l’entreprise » en 2021, je développais avec une autre personne une entreprise pour accompagner les entrepreneurs à développer des modèles économiques pérennes. Nous souhaitions travailler plus spécifiquement avec des entreprises de l’économie sociale et solidaire. Nous étions allés à la rencontre de l’écosystème en France parce qu’on avait déjà des contacts, et en Allemagne. Dans la recherche des contacts, on avait vu que Smart Allemagne existait et on est allés à leur rencontre pour voir comment est-ce qu’on allait pouvoir travailler ensemble. On a rencontré Magdalena Ziomek1, qui était la PDG de Smart Allemagne. On lui a proposé un atelier sur comment fixer ses prix, un très petit atelier d’une heure et demie. Magdalena nous a directement proposé d’intégrer l’aventure de SmartDE e.G. qui débutait en prenant une première part dans la coopérative. C’était aussi en même temps le début de Smart Allemagne. Ensuite on a continué notre exploration de l’écosystème ESS2 en France, et on y a rencontré Johnny Gislard et Emily Lecourtois3 de Smart France. La rencontre était géniale: on avait créé une entreprise allemande, mais on voulait répondre à des appels à projets en France. On n’y arrivait pas avec l’entreprise allemande, parce que même si le cadre européen devrait le permettre d’un point de vue administratif, dans les faits, dès qu’on veut travailler avec des collectivités territoriales c’est beaucoup plus compliqué. En fait, il faut qu’ils puissent prouver qu’ils n’ont pas mieux sur leur territoire. Emily nous a dit qu’elle cherchait des porteurs de projet, pour tester l’encapsulage4 en France, donc ça répondait à notre besoin, et ça permettait à Smart France d’avoir un collectif en test. Et puis Smart France lançait une recherche autour de l’accompagnement économique des membres, ils cherchaient des formats, on nous a donc demandé de faire un premier test.

La rencontre était géniale: on avait créé une entreprise allemande, mais on voulait répondre à des appels à projets en France.

Donc là, maintenant, on est chez Smart France: premier jour avec Johnny et Emily. On a testé, et on a rendu des préconisations sur ce qui était nécessaire par rapport à l’environnement Smart. Et puis ensuite, premier contact avec Smart Belgique en automne 2019: Laurence Collignon5 nous avait demandé d’animer un atelier autour du modèle économique pour les conseillers qui accompagnaient la mise en place du CDI. Et puis arrive mars 2020, nous devions former les conseillers une journée sur la fixation du prix. Le Covid est arrivé après la première journée de formation, donc le projet a été mis en stand-by. En parallèle, le service formation a décidé de créer tout un catalogue de formations en ligne, et nous a sollicités. Donc à l’automne 2020, j’ai donné trois ateliers d’une demi-journée en visio pour les membres de Smart Belgique et Smart France. Et puis, avec Virginie Lejeune6, on s’est dit que ces ateliers étaient beaucoup trop courts. Alors le semestre suivant, j’ai proposé des ateliers sur deux demi-journées, sur les mêmes thématiques. Et on a ajouté une autre thématique: «réaliser un prévisionnel de trésorerie sur 12 mois». Donc voilà pour répondre à ta question, il y a eu de nombreux premiers jours, avec de nombreuses personnes différentes, et de plusieurs Smart différentes. Depuis, avec mon activité Donner du Sens À l’Entreprise, je forme les sociétaires et titulaires d’unité de production sur les questions du prix ainsi que les conseillers pour qu’ils accompagnent les titulaires d’unité de production dans leur questionnement économique.

Il y a eu de nombreux premiers jours, avec de nombreuses personnes différentes, et de plusieurs Smart différentes.


Et est-ce que tu te souviens
de ce que tu t’es dit en rentrant en contact avec Smart? Quelles ont été tes réactions?

En fait, je connaissais déjà le principe, en France, des Coopératives d’Activité et d’Emploi (CAE), comme Coopaname ou Oxalis. Ce que j’ai trouvé intéressant chez Smart, qui correspondait plus au modèle de l’activité, c’était qu’il y avait aussi la possibilité de faire un contrat unique, c’était moins contraignant, ça nous permettait une certaine flexibilité. Et franchement, là où j’étais impressionnée, c’est par l’aspect international, le projet européen pour faire en sorte que moi entrepreneure, je puisse travailler dans les meilleures conditions par rapport à mon activité.

 


Smart te permet d’articuler ton activité entre les différents pays?

J’ai beaucoup d’admiration pour la vision et encore plus pour la mise en pratique de cette vision. C’est-à-dire d’avoir cette idée et d’y croire, de créer vraiment une vision où on peut relier les entrepreneurs solos. Et que les entrepreneurs de la première coopérative se donnent du temps, des ressources et des moyens pour la faire émerger dans d’autres pays d’Europe. Parce que tous les pays en Europe ont des coopératives, avec les mêmes principes: une personne, une voix. Mais par contre la mise en œuvre est complètement différente. Par exemple, en Allemagne, il n’y a pas de Société Coopérative Ouvrière de Production (SCOP), qui est le modèle de base des Coopératives d’Activité et d’Emploi (CAE) en France. On est plutôt sur un modèle qui correspondrait en France au modèle SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif), les sociétés coopératives d’intérêt collectif, des coopératives d’usage. Et cette dimension, je la trouve vraiment hyper intéressante parce que ça demande en fait une vraie adaptation. Il faut familiariser les personnes à un nouveau modèle et ça prend du temps. Il faut que les gens se rendent compte qu’en fait, c’est un besoin pour eux. Une fois qu’ils s’en sont rendu compte, en règle générale, ils sont très contents d’être chez Smart.

Smart France nous a accompagnés en nous mettant à disposition un juriste qui a été génial et qui nous a permis de régler les difficultés rencontrées, très rapidement et de manière extrêmement sereine.


Tu as mentionné le moment du Covid. P
eut-on revenir sur cette période-là? As-tu pu continuer ton activité? Qu’est-ce que Smart a mis en place?

Il y a deux choses qui sont importantes. La première, c’est que plusieurs contrats sont en suspens, comme par exemple celui avec Smart, pour les jours de formation qu’on n’a pas pu réaliser. Et donc ces journées ne sont pas payées. Mais à Smart Allemagne, je suis salariée associée. Et le fait d’être salariée m’a permis de bénéficier du chômage partiel allemand. C’était beaucoup plus simple que si j’avais été freelance: pour la première vague, les freelances avaient 48h pour s’inscrire sur un portail, et ils recevaient 5000€, sans savoir ce qu’il fallait mettre en place, qui pouvait par la suite s’avérer coûteux. À partir de la deuxième vague, ils devaient faire valider leurs comptes par des experts-comptables, ça faisait des coûts et du temps supplémentaire. Pour nous, tout ça était mutualisé au sein de Smart Allemagne, avec une protection des salariés. Après, sur ce que Smart Belgique a mis en place, c’est par exemple ce qu’a fait Thierry Plantegenet7 sur la formation, où il nous a invités à produire de nouveaux ateliers en visio pour les membres de Smart Belgique et de Smart France. La formation est un moyen de créer de la résilience par des formats plus ou moins longs, plus ou moins courts.

 


Y a-t-il une autre période marquante
dans ton histoire avec Smart ces cinq dernières années?

Oui. Tout à l’heure, je te disais que j’avais cofondé comit. Le Covid a révélé notre besoin, en tant que co-fondateurs, de prendre des chemins différents. Grâce à Smart France, nous avons pu régler la fin de la collaboration: un juriste médiateur a facilité, de manière très efficace et sereine, la fin d’une aventure, nous permettant de prendre des voies différentes. De manière générale, la présence de juristes au sein de la coopérative est un véritable atout pour les sociétaires, ne serait-ce que pour les ateliers et les formations sur les droits d’auteur, organisés par Smart Belgique.

Ça a été une fierté de pouvoir être associée à l’élaboration d’outils au service des membres. C’était génial de passer de l’autre côté de la scène, d’imaginer les attentes des membres en termes de formation.


Et ensuite, tu as pu rencontrer d’autres formateurs avec qui travailler?

Comme j’habite à Berlin, c’est un petit peu difficile de rencontrer régulièrement d’autres formateurs. Mais, au fur et à mesure, j’en ai rencontré quelques-uns. Virginie Lejeune m’avait invitée à faire partie du groupe de formateurs, qui réfléchissait ensemble sur le catalogue de formation. Il s’agissait de penser les parcours, de donner nos avis, et d’organiser les choses pour concevoir ensemble ce catalogue, pour qu’il serve au mieux les membres. Ça m’avait permis de travailler avec Moïra Richard, qui propose une formation sur le développement commercial, qui est à Smart France, maintenant chez GrandsEnsemble8. Ça m’avait permis aussi de travailler avec Lucie Plénecassagne, qui propose des formations sur les étapes du projet entrepreneurial ainsi que sur la communication. Ses formations sont de véritables boîtes à outils pour bien vérifier que rien n’a été oublié. Et puis, rapidement aussi, avec d’autres formatrices en communication. Et c’était vraiment très riche. Parce que ça permettait aussi de voir comment se pensait un catalogue de formation à destination de 35.000 membres. Et ça, c’était vraiment super. Et puis, quand Thierry Plantegenet a repris la partie formation des membres, il a souhaité qu’on commence à créer des parcours. Pour le parcours économique, il a facilité ma rencontre avec deux autres formateurs: Crystel Croeisaerdt, qui donne la formation « Revoir sa relation à l’argent » et Samuel Desguin qui forme au business model Canvas ainsi qu’aux bases en comptabilité et au plan financier. Ça a été une fierté de pouvoir être associée à l’élaboration d’outils au service des membres. C’était génial de passer de l’autre côté de la scène, d’imaginer les attentes des membres en termes de formation. Ça, c’est vraiment des moments qui ont été super avec Virginie Lejeune, avec Thierry Plantegenet aussi. Comment est-ce qu’on articule encore plus les formations entre elles?

Ce que fait Smart résonne avec ce qui me meut. C’est là où il y a adéquation et rencontre.


Est-ce que ça a généré un sentiment d’appartenance différent à Smart?

Oui, mais parce que c’est aussi la façon dont je travaille. J’aime beaucoup travailler en collectif. Pour moi, la coopération est un point très important, j’essaie de la traduire à tous les niveaux de mon activité: travailler principalement avec des coopératives, mais aussi l’inclure dans le contenu de mes formations. En général, quand les gens commencent mon parcours de formation, ils ont peur que les autres participants soient dans la concurrence. Et du coup, l’objectif, c’est qu’à partir de la cinquième journée, ils travaillent ensemble, et ensuite, ils collaborent, ils créent des offres communes. C’est l’intention que je donne à toutes les formations que je mets en place. Donc tu vois, ce que fait Smart résonne avec ce qui me meut. C’est là où il y a adéquation et rencontre.

Merci beaucoup.

Le statut de travailleur indépendant est très simple à mettre en place: on remplit un formulaire de création d’un numéro d’imposition et puis on est lâché dans la nature.


Pour toi, est-ce que Smart a eu de
vraies bonnes idées qui t’ont marqué depuis que tu es venue?

La première qui me vient en tête, c’est la question européenne. On vit en Europe, les législations sont complètement différentes, que ce soit sur l’entrepreneuriat ou sur les coopératives. Et du coup, le fait que Smart arrive et se pose cette question de comment ça se passe dans les autres pays, et soit prêt à nourrir des budgets pour pouvoir tester dans d’autres pays, à faire confiance à des dirigeants. Faire venir Smart en Allemagne, on est dans l’innovation sociale. Avant que Smart Allemagne ne se crée, le principe n’existait pas vraiment. Le statut de travailleur indépendant est très simple à mettre en place: on remplit un formulaire de création d’un numéro d’imposition et puis on est lâché dans la nature, sans s’être assuré d’avoir une couverture sociale suffisante et en découvrant après la première année que l’on va payer des impôts sur le revenu (l’équivalent de l’impôt sur la personne privée) sur l’année écoulée et une avance sur l’année en cours. Intégrer Smart Allemagne permet de développer son activité dans un cadre plus serein: les impôts sont prélevés à la source (sur le salaire) et les cotisations sont les mêmes que pour les salariés et dépendent donc du salaire.

Par ailleurs, Smart Allemagne développe une réelle expertise dans l’intégration de collectifs. En Allemagne, créer et développer une coopérative est très lourd administrativement (beaucoup plus qu’en France). Or, j’ai vu beaucoup de collectifs qui veulent créer une coopérative, sans se rendre compte de cette lourdeur. Smart Allemagne permet de tester le collectif et surtout sa gouvernance, en soulageant la partie administrative et comptable. Toutes les leçons apprises du développement des Smart en Europe peuvent aussi être aussi partagées avec Smart Belgique (par exemple, depuis notre entretien, Smart Allemagne s’est doté d’un très chouette portail). Après j’admire aussi énormément le service formation de Smart, la richesse du catalogue. Il y a de nombreux éléments dans ce catalogue pour accompagner les membres à grandir dans leur activité, à lever des freins avec du développement personnel, à acquérir des savoirs et des savoir-faire: savoir utiliser Facebook, savoir utiliser les réseaux sociaux, savoir faire un plan marketing, mais aussi savoir calculer ses prix. C’est pareil avec les propositions de la vie coopérative, il y a le co-développement qui permet aux membres de se mettre dans un groupe. Ils se donnent un rendez-vous, chacun vient avec une problématique et bénéficie de l’intelligence du reste du groupe. C’est génial que ça soit proposé. Ça permet de créer du réseau, peut-être même de coopérer ensemble. Il y a les SmartLabs aussi, qui sont hyper intéressants. Et puis l’éducation permanente, la recherche, la recherche-action qui se mettent en place pour se donner des outils d’analyse pour créer du futur.

Ce serait mon souhait, davantage de réseau européen. […] Comment est-ce que les modèles peuvent se passer d’un pays à l’autre, traverser davantage les frontières ?


On arrive à la fin de l’entretien.
Est-ce que tu as des anecdotes à partager qui te reviennent?

Les AG9 de Smart Belgique, par exemple. Je sais que pour moi, je ne dirais pas que c’est rigolo, mais c’est quand même les AG les plus sympathiques. On rencontre d’autres personnes, on va manger ensemble. Et puis la soirée avec des musiciens, c’est un très beau moment. C’est des jolies journées. Et après, le cadre de la KOP, franchement, je suis tellement fan de ce bâtiment. Je le trouve tellement chouette!
Il y avait «Bigre!»10 en 2022. Je n’en ai pas parlé du tout, mais c’était quand même chouette de se retrouver avec d’autres coopératives d’entrepreneurs, dont des CAE de France, dans un cadre quand même très chouette. De voir aussi cette mise en réseau européenne, qui pourrait être davantage européenne.
Ce serait mon souhait, davantage de réseau européen. Je trouve que ça serait vraiment très intéressant des rencontres européennes de coopératives. Et peut-être que ça ferait aussi un peu plus avancer sur les échanges: qu’est-ce que c’est que d’être freelance et pourquoi se mettre dans des coopératives? Comment est-ce que les modèles peuvent se passer d’un pays à l’autre, traverser davantage les frontières?

Merci beaucoup Céline pour ce témoignage!

 

Lire d’autres interviews

 

 


 

 

(cliquez sur le numéro de la note pour retourner à cet endroit du texte)

 

1. Magdalena Ziomek et Alicja Möltner dirigent la coopérative allemande Smart-eG, qui se développe depuis 2014 et a récemment reçu plusieurs distinctions dans l’économie sociale berlinoise. https://smart-eg.de

2. Économie sociale et solidaire.

3. Johnny Gislard et Emily Lecourtois font partie des équipes de Smart en France. Après divers niveaux de responsabilité, Emily Lecourtois en est devenue directrice depuis 2020.

4. Le fait d’intégrer un collectif dans Smart.

5. Chargée dès 2012 du suivi financier des projets des membres dans la direction administrative et financière, Laurence Collignon a ensuite rejoint l’équipe de direction opérationnelle en 2019, jusqu’à son départ pour un nouveau projet plus personnel en 2024.

6. Virginie Lejeune, par ailleurs journaliste en radio, était responsable des formations de la coopérative jusqu’en 2021. Depuis lors elle a rejoint le team management de la direction administrative et financière, et a été élue membre du conseil d’administration de Smart en 2023.

7. Après un parcours de directeur de la culture dans différentes collectivités locales en France, Espagne et Argentine, Thierry Plantegenet est devenu responsable des formations de Smart en Belgique durant près de six ans jusqu’à son départ en retraite en décembre 2022.

8. Créée à Arras en 2006, GrandsEnsemble fait partie des premières coopératives d’activités et d’emploi à s’implanter en Hauts-de-France. Complémentaire, elle fait partie de l’écosystème de la coopérative Smart en France. https://grandsensemble.org

9. Assemblée générale annuelle de la coopérative belge, que Smart a transformée en une journée collective de rencontres d’information et de divertissement sous le titre « Let’s Coop! », chaque troisième mardi du mois
de juin.

10. Événement annuel – organisé à Sète – rassemblant des équipes de nombreuses coopératives ayant des objectifs socio-économiques communs, pour créer à long terme des liens et des partenariats concrets entre ces entreprises.