Ann De Visscher

Traductrice et membre de Smart pour y déployer son activité depuis 2007.
Présidente du comité d’éthique de la coopérative depuis 2023.

 

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Comment as-tu entendu parler de Smart, comment est-tu arrivée jusqu’ici? Est-ce que tu t’en souviens?

En fait, selon les données, je suis chez Smart depuis 2008, mais selon moi ça fait plus longtemps. Je me demande si 2008 n’était pas plutôt la date de création de mon activité.

C’est donc un mystère.

C’est vraiment un mystère. En fait, j’ai fait une école de théâtre quand j’avais 18 ans. C’est probablement des comédiens, des metteurs en scène qui m’ont parlé de Smart. Et je crois qu’à l’époque, j’avais fait un ou deux petits contrats pour des droits d’auteur, parce que j’avais coécrit un scénario ou un truc dans le genre. Depuis, il me semble qu’il y a eu deux rénovations des locaux. Je me souviens d’une fois où je me suis dit, «ah, c’est rénové», mais je crois que l’entrée était quand même encore rue Emile Féron, dans une ancienne maison. Du côté de la salle Bologne1, c’est là que je rentrais. Mon premier conseiller était Bayan2 . Je me souviens aussi de la première réunion d’information, qui était dans la salle où il y a la fresque avec le paon3.

 


Donc tu te souviens
d’avoir fait la réunion d’information?

Oui, ça, je m’en souviens. En 2008, j’ai dû faire quelques contrats, mais je ne sais pas du tout dans quel domaine. J’ai commencé à faire des contrats de traduction vers 2011. À l’époque où Smart a décidé de ne plus accepter que les métiers créatifs, j’ai pu continuer les contrats de traduction, car c’est un métier qui peut être créatif, comme la traduction littéraire. Je n’avais que des missions assez brèves, donc ça m’arrangeait très bien d’avoir Smart pour m’engager.

 


À cette époque-là,
est-ce que c’était déjà plus qu’une solution technique pour te payer? Quel était ton rapport à Smart au début de ton activité?

Non, au début c’était vraiment technique. Déjà, ce n’était pas une coopérative, il n’y avait pas encore ce lexique, on ne parlait pas encore de coopérative. Moi, je lisais juste les newsletters et je ne me sentais pas concernée, même si j’étais contente de la relation que j’avais avec Smart. Le contact avec ma conseillère, Perrine Pautré, passait super bien, je trouvais que c’était efficace et j’étais contente. C’est après, quand Smart est devenue une coopérative et quand j’ai reçu un e-mail pour me proposer d’être membre du comité d’éthique. Pareil, je ne me sentais pas du tout concernée, je n’avais pas compris que j’avais été tirée au sort parmi 210 personnes. C’est seulement au deuxième ou troisième mail de Sarah de Heusch4, qui m’a demandé «mais est-ce que tu ne serais pas intéressée?» que je me suis dit «ah bon, ça me concerne en fait.». Ce n’est qu’en faisant partie du comité d’éthique que j’ai ressenti un lien avec la vie coopérative. Je me suis rendu compte qu’ici, on fait du lien, on coopère, on mutualise. Mais je pense aussi que Smart elle-même a pris conscience qu’elle était une coopérative. Ça n’a pas toujours été évident dans l’imaginaire de tout le monde.

 


Du coup, le déclic,
c’est ces mails que tu reçois de Sarah, ou est-ce qu’il y a d’autres moments, ou évènements?

C’est de faire partie du comité d’éthique, et donc de venir dans les locaux à chaque réunion qui m’a amenée à croiser d’autres personnes et ces personnes m’ont proposé de faire d’autres choses, comme cette interview et l’autre interview avec Estelle5, qui est encore sur le site.

 


Et tu reçois d’autres sollicitations?

Oui, et aujourd’hui, quand je reçois un e-mail, je suis plus intéressée dans la mesure où Smart fait en quelque sorte partie de mon quotidien. J’ai déjà un pied dedans et c’est plus facile de me dire «tiens, Smart in Progress, pourquoi pas, je m’inscris». C’était pendant le confinement, j’ai participé à un Smart in Progress sur l’accueil, qui a dû se faire en visio. Et c’était encore une occasion de rencontrer des gens, comme Pierre D’Haenens, Dorcas Sizaire, Farah El Hour… de chouettes rencontres. Et Marcella Militello6 m’a contactée pour un SmartLab autour des activités expérimentées. J’aime bien venir chez Smart et participer aux activités.

 


Tout ça raconte un peu
l’évolution de ton rapport à Smart. Il y a eu d’autres évolutions dans la manière dont tu utilises Smart? Si on retrace un peu ton parcours, tu as eu des contrats plus réguliers en tant que traductrice à partir de 2010. Et ensuite?

À un moment donné, Smart a commencé à proposer des CDI et Perrine, qui était ma conseillère, me l’a proposé assez vite. J’ai dit non pendant deux ans parce que je ne voulais pas faire le cobaye. Je voulais voir si ça allait fonctionner, et puis je ne me sentais pas encore tout à fait à l’aise avec l’idée d’être en CDI à ce moment-là. Il fallait que je surmonte une espèce de stress de ne pas réussir à réunir assez d’argent pour continuer à m’engager au long terme. C’est seulement en voyant que mes rentrées étaient stables et augmentaient que je me suis dit que c’était une bonne idée. Je crois que Perrine a dû me le proposer à nouveau en 2018, et je suis en CDI depuis lors.

 


Est-ce que ça change des choses?

Oui, ça change quand même! C’est chouette de ne plus dépendre du chômage. Pendant très longtemps j’étais déclarée 10 ou 13 jours et je touchais du chômage pour les autres jours. C’est quand même assez apaisant de ne plus être dans ce système-là, avec les contrôles, etc. D’un autre côté, c’est pas si drôle que ça, car je m’oblige à travailler plus. Si l’argent ne rentre pas, il y a plus de stress. C’est chouette que ce soit un revenu régulier, mais bon, je suis tellement consciencieuse qu’il faut absolument que je rentre au moins ce que coûte mon CDI, même si j’ai de l’argent sur mon budget. Je me disais «ah, mais c’est bien, tu peux échelonner ce budget sur plusieurs années et donc travailler moins», mais en fait, ce n’est pas comme ça que je fonctionne.

 


Est-ce que le CDI a modifié
ton rapport à la coopérative?

Non, c’est vraiment le fait d’avoir été invitée à participer à la coopérative par le biais du comité d’éthique. Avant, je n’étais même jamais venue à l’AG.

 


Et donc tu participes
au comité d’éthique depuis sa création, dès la première vague de tirage au sort?

Oui, je suis arrivée vraiment au tout début de la mise en place en 2019, et je suis restée depuis. L’année dernière, la présidente a quitté le comité et nous avons fait une élection sans candidats pour la présidence et j’ai été désignée.

 


C’est un rôle un peu différent de celui
de membre, Comment ça marche?

C’est différent parce que c’est beaucoup plus de travail. Il faut organiser les réunions, corriger les PV. Heureusement, nous avons reçu l’aide d’un secrétariat pour la prise de note, c’était d’ailleurs une des conditions pour que j’accepte ce rôle. C’est plus de travail, et plus d’exposition aussi, ce qui ne me plaît pas toujours tant que ça. Il faut présenter nos travaux devant le conseil d’administration, ou l’assemblée générale.

Mais tu as accepté.

Parce qu’il n’y avait personne d’autre qui voulait le faire, et je me sentais responsable, je crois. Je ne sais pas qui l’aurait fait si j’avais refusé.

C’est un engagement fort de ta part.

Malgré moi. Non, c’est pas faux, mais c’est pas non plus vraiment voulu. En fait, je crois que j’aimerais bien passer plus de temps à autre chose. Mais ça me semble important, donc voilà, c’est comme ça.

Je comprends la dimension paradoxale de ce genre de situation.


Si on revient sur l’histoire de Smart,
est-ce qu’on te l’a racontée? Si je te demande «c’est quoi l’histoire de Smart?», y a-t-il des choses qui te viennent? Tu peux me dire non!

J’ai vaguement entendu à un moment que ça avait été créé par deux personnes. Je me trompe peut-être. Mais il y a très longtemps qu’on m’a parlé de ça, et ça me paraît vague. J’ai l’impression que c’est comme ces histoires de la Silicon Valley qui commencent dans un garage, on a commencé un truc et puis voilà ce qu’on est devenu.

 


Depuis tes premiers contacts en 2008, vois-tu des évolutions, des phases,
des choses que tu as vécues même de loin? Tout à l’heure, tu évoquais le bâtiment, c’est une des manières de voir les choses par exemple.

Oui, tout à fait. Ça m’a marqué, l’évolution du bâtiment. Je suis venue pour la première réunion et en repassant quelques années plus tard pour déposer un papier, parce qu’à l’époque, il fallait encore venir déposer les notes de frais, etc. D’ailleurs, l’évolution, c’est aussi la numérisation et l’aspect pratique qui est devenu de plus en plus accessible. Je vois aussi une évolution très intéressante pour les clients qui, à l’époque, devaient imprimer un papier, le signer, le faxer ou l’envoyer par la poste, etc. C’était très compliqué, maintenant c’est devenu très facile. Ils n’ont qu’à cliquer sur un lien, mettre OK et le devis est accepté. La numérisation de l’outil était quand même une bonne évolution. Et aussi la transformation en coopérative. Quand on paie une part coopérative, c’est un acte obligatoire et on pourrait se dire que c’est pénible de la payer. Mais moi j’ai toujours été fascinée par l’idée de la coopérative, j’aime bien cette idée, comme une image d’Épinal d’une unité, d’une mise en commun, d’horizontalité, tout ça. Après, entre cette idée et la réalité, c’est pas toujours évident, mais comme idéal, j’aime bien.

 


Le fait d’y contribuer concrètement
à travers un mandat dans Smart, qui est ton outil de travail, c’est important pour toi?

Oui, oui, carrément! Que ce soit le comité d’éthique, les Smart in Progress, les SmartLabs, venir à l’AG ou participer à des réunions. J’aime bien participer quand les trucs m’intéressent.

Avant, il fallait passer souvent dans les locaux pour déposer des papiers, et pour autant ça ne créait pas forcément de sentiment d’appartenance ou d’engagement.

Voilà, passer dans un endroit, c’est pas spécialement y rester ou y traîner. Et c’est vrai que déjà aussi, avec la petite cour intérieure, j’adore me prendre un café, fumer une cigarette dans la cour, regarder un peu les gens passer, me laisser porter par un tel qui passe, l’autre qui passe. Il y a quelque chose de vraiment agréable. Déposer un papier, c’est une espèce de corvée, c’est pas «tiens je vais suivre une réunion, une conférence ou un débat contradictoire sur quelque chose qui m’intéresse».

 


On ne vient pas pour la même chose, donc
ça ne produit pas du tout les mêmes effets. Smart a-t-elle eu des bonnes idées qui pourraient expliquer son succès? Que ce soit en termes de stratégie, d’outils, de propositions commerciales, d’offres?

Le passage en coopérative, la numérisation. La création des activités aussi. La première fois où je suis venue, il n’y avait pas du tout l’idée d’activité. C’était genre tu viens, tu fais ton contrat et voilà. Les activités, c’était une très bonne idée.

 


Si tu devais formuler son intérêt?

Maintenant, on appelle ça des unités de production. Pour moi aujourd’hui, c’est très intéressant d’avoir comme un petit hub où il y a tout: le budget, le fait de pouvoir faire des frais. Un autre des grands avantages que je trouve aujourd’hui dans le fait d’être chez Smart, c’est de pouvoir me former à autre chose. Comme j’ai du budget, je peux utiliser ce budget pour me former à quelque chose de totalement différent du domaine dans lequel je travaille aujourd’hui. Et je trouve ça super intéressant parce que je ne crois pas qu’on puisse faire ça si on est employée dans une boîte. Généralement, les formations sont axées sur le domaine dans lequel on travaille. C’est vraiment trop bien de pouvoir faire ça.

 


Et si on va du côté du comité d’éthique, ça fait 5 ans que tu y participes.
Est-ce qu’il y a des sujets ou des moments qui ont été marquants pour toi dans la vie de ce comité? Est-ce que tu peux nous raconter un peu cette histoire?

Ça a été un peu un peu rocambolesque, parce que juste après la création, il y a eu le confinement, et le problème de Smart en France, qui nous a fait réfléchir aussi sur la façon dont ça se passait. On a aussi mis énormément de temps à faire un règlement d’ordre intérieur. Le temps est long au comité d’éthique, on va dire. Le temps est long et du coup, c’est un petit peu frustrant. Là, j’essaye un peu de changer ça, mais ça va prendre aussi du temps. Parce que quand tu as une réunion de trois heures toutes les six semaines, pour que les choses soient lues, discutées, acceptées, écrites et puis approuvées, c’est long. Et ce qui m’a marquée, je crois que c’était le cas français. On a été pris à partie par des travailleurs de Smart France, c’était difficile pour tout le monde. Après, je trouve qu’on a assez bien rebondi. J’ai remarqué aussi que, quand nos réunions étaient en visio, les débats étaient beaucoup plus clivants. On ressent moins les personnes, les débats étaient plus radicaux en ligne qu’ils ne le sont en présentiel.

 


Vous avez repris le présentiel
après le Covid?

Oui, sauf une personne qui habite loin et qui ne vient pas toujours jusqu’ici. Et puis il y a aussi les mises au vert, c’est toujours assez chouette de se retrouver et d’apprendre à connaître des nouveaux membres. Je n’arrive pas à croire que je viens de dire ça! Je déteste quitter Bruxelles et être en groupe. Pendant un mois avant les mises au vert, je me disais que je n’allais pas y aller, que j’allais annuler, mais finalement, c’était toujours super bien organisé, toujours agréable.

 


Tu évoques la France,
quel regard as-tu sur le développement international de Smart?

Aucun en fait. J’ai l’impression que c’est un peu invisible. Un peu comme la femme de Columbo, ça existe, mais on ne le voit pas. Pourtant il me semble que j’avais croisé, je ne sais plus comment, ni quand, ni pourquoi, des gens qui venaient de Smart Italie, je crois, qui étaient à Bruxelles. C’est chouette, mais je ne sais pas si ça prend ou pas. Et si ça prend, qu’est-ce que Smart a à voir là-dedans? Et comment est-ce qu’elle gère? Enfin, je ne sais pas. C’est obscur pour moi.

D’accord.


As-tu vécu des moments un peu marquants? Des situations, des rencontres, des réunions, comme les mises au vert que tu viens d’évoquer?

La première AG que j’ai faite, c’était vraiment chouette, je n’en revenais pas! La deuxième aussi d’ailleurs. C’était hyper agréable. Les gens étaient souriants et bienveillants. Une ambiance détendue. Je me souviens, c’était l’année où il y avait la fanfare, Pelouse Grass Band. Et c’était vraiment trop chouette, c’était une super bonne ambiance.

 


Et des rencontres peut-être?

Oui, plein de rencontres chouettes comme ça. Ça reste un peu en surface, mais c’est chouette quand même. Quelque chose que je ne trouve pas trop ailleurs, une communication douce et respectueuse, que je trouve quand je viens ici [au siège de Smart à Saint-Gilles]. J’ai l’impression que la plupart des gens font vraiment attention de ne pas être dans le jugement. Ça, c’est cool. C’est un lieu de lien et de partage. Et c’est aussi un endroit où généralement j’ai des discussions intéressantes avec les gens, et pas seulement au comité d’éthique, mais un peu à tout moment.

 

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1. Les dizaines de salles de réunion disséminées dans l’ensemble des bâtiments de Smart à Bruxelles portent des noms de villes européennes. Dont la salle Bologne, entre les bureaux d’administration de Smart.

2. Idelphonse Ayité, alias Bayan, est conseiller au sein des équipes de Smart, il accompagne les projets des membres depuis 2007.

3. Situés dans la maison au coin de la rue Féron et de la rue Coenraets, et réaffectés par Smart en bureaux d’accueil des membres, les salons «Coché» ont été décorés en 1906 par la maison Vermeulen-Coché. On peut y découvrir deux grandes fresques de faïence de Sarreguemines en style Art nouveau, reprenant des vues bruxelloises du Botanique avec deux paons, et de la porte de Hal avec des perroquets et un chien. Ces fresques sont classées au patrimoine depuis 2004: https://monument.heritage.brussels/fr/buildings/9299

4. Sarah de Heusch a très longtemps animé la défense de Smart vers les institutions européennes et internationales, l’actuelle équipe de plaidoyer de la coopérative. Elle a initié et dirigé les premières années du comité d’éthique de l’entreprise.

5. Estelle Delattre a fait partie de l’équipe de communication de Smart de 2019 à 2021.

6. Pierre D’Haenens et Farah El Hour sont respectivement membre et ex-membre du conseil d’administration de Smart, Dorcas Sizaire est conseillère et accompagne les projets des membres dans l’équipe de Smart à Namur, Marcella Militello a d’abord longtemps été conseillère, et aujourd’hui fait partie de l’équipe de la Direction Générale et coordonne le développement des SmartLabs.