La profession de journaliste conserve tout son attrait auprès des jeunes, comme le montre l’afflux, dans les écoles, des candidat(e)s aux métiers de la presse. Les conditions de vie n’y sont pas toujours roses, cependant. Et le marché de l’emploi est loin de croître en proportion de la demande. Selon des chiffres fournis par l’Association des Journalistes Professionnels, on compte aujourd’hui plus de 10 diplômés en journalisme pour un poste qui s’ouvre. La concurrence effrénée se traduit par une baisse des tarifs, voire un travail gratuit dans l’espoir de retenir l’attention d’un employeur potentiel, et un taux de chômage important.
Dans le secteur de la presse écrite, la concentration des titres, la diminution des tirages, l’éparpillement des sources d’information ont conduit les entreprises à réduire toujours davantage les coûts en personnel. En conséquence, les emplois précaires se sont multipliés.
Nous sommes bien placés, chez Smart, pour observer cette réalité dans toute son ampleur. Comme le note en effet Anne Dujardin, « le nombre de journalistes pigistes recourant aux services de Smart ne cesse d’augmenter depuis plusieurs années, tout comme le volume de leurs prestations. » Il nous a donc semblé utile d’établir, ne serait-ce qu’à grands traits, le profil socio-économique de nos membres pigistes. Cette recherche, menée en interrogeant notre base de données, nous permet de cerner en même temps les stratégies que ceux-ci mettent en place pour développer leurs revenus.
L’Information ainsi recueillie devrait compléter utilement les données rassemblées par l’AJP via différentes enquêtes auprès de ses membres. A côté du phénomène des « faux indépendants », dénoncé depuis longtemps par les syndicats de journalistes, une étude comme la nôtre lève un coin du voile sur la situation de ceux qu’on pourrait appeler des « faux-intermittents », travaillant à longueur d’année pour un seul et même employeur, sans bénéficier pour autant d’un contrat de travail à durée indéterminée.
Nous avons tenu à compléter cette approche centrée sur nos membres par une analyse des stratégies développées par les jeunes journalistes à l’entame de leur carrière. On verra que les réflexions qu’Olivier Standaert développe à leur propos pourraient tout aussi bien s’appliquer aux artistes : « Dans un marché où les débutants doivent assurer eux-mêmes la continuité de leur trajectoire, les formes et les effets de la flexibilité sont autant une cause de précarité qu’un vivier d’expériences et de rencontres professionnelles au carrefour de plusieurs professions. »
La précarisation des journalistes nous conduit immanquablement à nous interroger sur les effets qu’elle induit sur le contenu de leur travail et, en définitive, sur la liberté d’informer. De quelle marge dispose-t-on encore pour assurer une information de qualité, si l’on n’a pas le temps de la rechercher, encore moins de l’analyser ? Si, par manque de stabilité professionnelle, on ne veut pas courir le moindre risque de déplaire – à l’employeur, aux annonceurs, à tous les bailleurs de fonds ? Les témoignages recueillis par Adrien de Fraipont sont édifiants à ce propos, même si l’état de la presse au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles n’est assurément pas la pire qui soit au monde.
A contrario, les tentatives de censure à l’égard du magazine Médor montrent à quel point la presse peut déranger lorsqu’elle joue pleinement son rôle de vigile et de quatrième pouvoir. Encore faut-il s’en donner la possibilité. C’est ce que les collaborateurs de cette nouvelle publication trimestrielle ont fait en fondant une coopérative qui leur permet d’être copropriétaires de leurs moyens de production. Un exemple à suivre…